Sommet de Djerba : Quel avenir pour la francophonie en Tunisie ?

Après une présidence insipide et sans valeur ajoutée de la Ligue arabe et une Ticad qui n’a pas permis à la Tunisie de valoriser et de rentabiliser son positionnement africain, le Sommet de la francophonie semble être un symptôme supplémentaire d’une Tunisie sans cap ni ancrage international et d’une diplomatie dans un état de mort clinique selon de nombreux observateurs tunisiens et étrangers. (Kaïs Saïed se paye un bain de foule, à son arrivée à Djerba, vendredi 18 novembre 2022, pour le Sommet de la Francophonie).

Par Elyes Kasri *

Pour la majorité du peuple tunisien, le 18e sommet de la francophonie qui s’ouvre ce samedi 19 novembre a tout l’air d’un non-événement ou au mieux d’une opportunité touristique de remplissage d’hôtels à Djerba.

Cela est peut-être dû en partie à la proximité de la Coupe du monde de football, qui s’ouvrira mardi 22 novembre au Qatar, mais surtout à la régression de la langue française en Tunisie en tant que moyen d’expression du vécu quotidien des citoyens.

Depuis 2011, la langue française a connu un repli considérable en Tunisie en passant de la deuxième langue au statut de langue étrangère réservée à une élite perçue par certains comme une cinquième colonne.

Régression de la langue française

Cette dégradation de la perception et du statut de la langue française en Tunisie est en grande partie due a la prédominance des courants de pensée islamiste et nationaliste arabe qui ont fait de la langue française un symbole d’aliénation culturelle et même d’inféodation à l’ancien occupant colonial contre lequel certains avaient même tenté de mener une campagne pour demander des réparations pour «pillage colonial» et «crimes contre l’humanité».

Le sommet de la francophonie fait malheureusement partie d’une série d’initiatives diplomatiques tunisiennes apparemment dépourvues de réflexion et d’analyse de l’aptitude et de la capacité de la Tunisie de saisir cette opportunité pour améliorer son image et porter son message sur la scène internationale.

Ceux qui pensaient qu’abriter une manifestation internationale se résume à son volet logistique ont compromis la Tunisie avec les pays arabes (présidence insipide et interminable de la Ligue des Etats arabes) de même qu’avec le Japon et les pays africains avec la 8e Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad8) tenu récemment à Tunis et qui s’est avéré une opportunité stérile économiquement et préjudiciable diplomatiquement à cause de l’affaire du Sahara Occidental.

La gêne causée par le Sommet de la francophonie est perceptible au plus haut niveau en Tunisie, probablement par crainte d’une éventuelle perception par une certaine base populaire qu’il vise de promouvoir une langue et des intérêts étrangers et de surcroît occidentaux.

Une diplomatie sans cap ni ancrage

Après une présidence insipide et sans valeur ajoutée de la Ligue arabe et une Ticad qui n’a pas permis à la Tunisie de valoriser et de rentabiliser son positionnement africain, le Sommet de la francophonie semble être un symptôme supplémentaire d’une Tunisie sans cap ni ancrage international et d’une diplomatie dans un état de mort clinique selon de nombreux observateurs tunisiens et étrangers.

S’il est vrai que la position de la France et l’usage de la langue française ont régressé en Afrique et dans le monde au cours des dernières décennies notamment au profit de l’anglais qui est devenu la lingua franca des affaires, de la science et de la technologie, il n’en reste pas moins que les relations historiques, culturelles, économiques et consulaires avec la France méritent beaucoup plus que l’approche minimaliste et du bout des lèvres, au niveau public et politique, du Sommet de la francophonie qui donne des signes annonciateurs d’un autre rendez-vous raté.

La question fondamentale à se poser serait de savoir si la francophonie linguistique et culturelle sera mieux ancrée en Tunisie après la tenue du sommet de Djerba et si la Tunisie sera plus présente et plus active dans l’espace francophone international à la faveur de ce sommet. Il y a fort à penser que la réponse sera au mieux très réservée.

* Ancien ambassadeur.

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