Kaïs Saïed, qui a encore du mal à assumer sa fonction de président de la république, trois ans après avoir accédé au palais de Carthage, fait souvent des déclarations qui auraient beaucoup plus de sens dans la bouche d’un opposant, surtout lorsqu’il conspue les services de l’Etat, ou laisse entendre qu’ils sont, eux aussi, gangrenés par la corruption.
Par Imed Bahri
Lors d’une rencontre jeudi 24 novembre 2022 avec le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine et le directeur général de la Sûreté nationale Mourad Saidane, le président de la république a en effet abordé, encore une fois, la question de la lutte contre la spéculation et la hausse des prix.
«Ce qui arrive souvent, c’est que les petits commerçants sont poursuivis, tandis que les gros spéculateurs échappent à toute poursuite qui n’ont d’autre souci, en cette phase, que de porter atteinte aux droits des citoyens à la subsistance et à la santé, tout en diffusant des rumeurs et en stockant illégalement des produit alimentaires», a-t-il souligné.
La police ne peut régler tous les problèmes
C’est la énième fois que le président soulève cette question du lien entre, d’un côté, la hausse des prix dont se plaignent les citoyens, et de l’autre, les fléaux de la spéculation et des monopoles, mais ses déclarations sur le sujet ajoutent souvent à l’ambiguïté de l’approche qu’il en fait.
Il va sans dire que la hausse des prix n’a pas seulement pour causes la spéculation et les monopoles. Et même si ces phénomènes existent, leur contribution aux hausses des prix est, du moins actuellement, moins importante que celle de la conjoncture internationale marquée par la rareté de certains produits et la hausse de leurs prix, sans parler de l’inflation, de la baisse de la valeur de la monnaie nationale, des difficultés de plusieurs filières agricoles (lait, aviculture, sucre, pommes de terre, tomates, etc.), des pénuries de toutes sortes, des problèmes d’approvisionnement en raison des difficultés financières empêchant l’Etat d’importer les quantités suffisantes des produits très demandés sur le marché intérieur, etc. Ce sont là autant de problèmes que les services de police et ceux de contrôle économique ne pourront pas régler, car ils n’en détiennent pas les solutions.
Sur un autre plan, le président de la république laisse entendre que certains services de l’Etat font preuve de laxisme voire de complicité avec les spéculateurs et il semble même leur reprocher de faire du cinéma, en poursuivant les petits commerçants et en laissant les gros spéculateurs poursuivre leurs activités en toute impunité et continuer ainsi à s’enrichir sur le dos des citoyens.
Chef d’Etat ou opposant ?
Une pareille affirmation venant de la plus haute autorité de l’Etat laisse perplexe, car il ne s’agit pas là d’un simple reproche pointant des dysfonctionnements ou des carences, mais d’une accusation de corruption portée sur les services dont le président a lui-même la charge. Et là, on avoue ne plus rien comprendre à la démarche présidentielle qui oublie souvent qu’il est le principal responsable des carences, des dysfonctionnements ou même de la corruption des services de l’Etat, surtout quand il les pointe lui-même publiquement et va jusqu’à lancer des accusations sans les suivre par des sanctions administratives ou des poursuites judiciaires contre les contrevenants.
Kaïs Saïed, qui a encore du mal à assumer sa fonction de président de la république, trois ans après avoir accédé au palais de Carthage, fait souvent des déclarations qui auraient beaucoup de plus de sens dans la bouche d’un opposant, surtout lorsqu’il conspue les services de l’Etat, ou laisse entendre qu’ils sont, eux aussi, gangrenés par la corruption.
Par ailleurs, on ne règle pas des problèmes concrets par de simples paroles ou en promulguant des lois qui restent lettre morte, mais par des mesures tout aussi concrètes dont on peut mesurer l’impact et évaluer l’efficacité. Pour preuve, depuis le temps que le président Saïed parle de la lutte contre la spéculation et les monopoles et depuis qu’il a promulgué une loi pour combattre ces fléaux, on ne voit vraiment pas d’avancées dans cette voie. Cherchez l’erreur !
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