La politique de déni suivie par le président de la république Kaïs Saïed, qui consiste à nier l’existence des difficultés auxquelles les citoyens sont confrontés dans leur vie quotidienne ou à en relativiser la portée, ne rassure pas Tunisiens, mais les inquiète davantage.
Par Imed Bahri
Car ce que l’on attend d’un homme qui accapare les pouvoirs législatif et exécutif et qui règne en maître absolu, ce n’est pas de commenter la situation générale dans le pays et de justifier son manque d’action par de vagues menaces qui ne font plus peur à personne. On attend de lui qu’il prenne le taureau des difficultés par les cornes et leur cherche des solutions rapides et efficaces.
Ceci est loin d’être le cas aujourd’hui avec un président qui ne reçoit pas les ministres pour s’informer sur les problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien, notamment l’état lamentable des finances publiques qui réduit leur marge de manœuvre, et chercher avec eux les moyens de colmater les brèches et de mettre en œuvre des solutions à moyen et long termes, mais pour leur faire la leçon sur ce qu’ils savent sans doute mieux que lui, tout en partant dans des considérations complètement décalées sur la corruption, la spéculation et les complots contre l’Etat, dont on attend toujours, depuis trois ans, les preuves tangibles et irrévocables.
Les manquements de l’Etat
En se rendant, hier, mardi 6 décembre 2022, dans les locaux des laboratoires Saiph, au sud de Tunis, alors que les pharmaciens grossistes répartiteurs étaient en grève depuis la veille et que les pharmaciens d’officine faisaient part de leur crainte face à une rupture annoncée de leurs stocks de médicaments, le président Saïed a trouvé le moyen de faire une déclaration pour le moins surprenante. «La Tunisie dispose de tous les atouts nécessaires pour répondre à ses besoins en médicaments», a-t-il dit, tout en affirmant aux responsables de l’unité pharmaceutique visitée la nécessité de constituer des stocks stratégiques en prévision de toute urgence, comme si cela faisait partie de leurs tâches et non des missions de l’Etat, qui gère lui-même directement le secteur des médicaments à travers la Pharmacie centrale de Tunisie.
Faut-il rappeler, dans ce contexte, que cette entreprise publique souffre de graves difficultés financières, en raison des dettes qu’elle a cumulées chez nombre de ses grands clients institutionnels, notamment la Caisse nationale d’assurance maladie et les hôpitaux publics, tous logés à la même enseigne que l’Etat dont ils dépendent.
De tout cela, le président de la république ne veut pas entendre parler, car même s’il n’est pas responsable de cette situation catastrophique qu’il a héritée en 2019, il n’a rien fait au cours des trois dernières années pour tenter de la redresser.
Peut-être aussi qu’à force de ne pas écouter les autres, il s’est trouvé complètement désarmé et impuissant face à l’ampleur des enjeux et des défis. D’où sa fuite en avant dans le déni et la recherche de boucs émissaires pour leur faire porter le chapeau de ses propres carences.
Un aveu d’impuissance
«La crise à laquelle est confronté le secteur de la distribution des médicaments est en train d’être résolue», a cru pouvoir déclarer le président Saïed, tout en rappelant «la nécessité de conjuguer tous les efforts, surtout en ce moment pour faire face aux difficultés et aux défis», dans ce qui s’apparente à un aveu d’impuissance de l’Etat et à un appel à la responsabilité collective.
Ce n’est pas par ce genre de vœux pieux et d’inchallahs que l’on va régler les graves problèmes auxquels les Tunisiens font aujourd’hui face, mais par des réformes structurelles dont la mise en œuvre a trop tardé et, surtout, par une révision sérieuse du rôle même de l’Etat dans une économie en panne. Lequel Etat, à trop vouloir tout accaparer et tout contrôler, sans y mettre l’efficacité et la diligence requises, est en train de tout bloquer dans le pays. Et cela est valable pour tous les secteurs et toutes les filières où l’Etat joue aujourd’hui un rôle inhibiteur et perturbateur : le lait, la viande, le sucre, le café, les engrais, les médicaments, etc.
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