La crise des finances publiques en Tunisie s’est transformée en véritable impasse financière suite à l’échec de sa requête auprès du FMI et la dégradation de sa note souveraine. La seule option qui lui reste semble être le rééchelonnement de sa dette extérieure. Et donc le passage devant le Club de Paris, dont il va falloir minimiser l’impact négatif sur les Tunisiens. (Najla Bouden discutant avec Emmanuel Moulin, qui préside les réunions du Club de Paris, le 25 janvier 2023).
Par Ezzeddine Saidane *
Il est vrai que cela sonne un peu bizarre, mais le passage par le club de Paris pourrait être la seule issue pour la Tunisie actuellement.
En termes simples le club de Paris est une réunion qui se tient à Paris et qui est présidée par le directeur général du Trésor français. Ce club réunit les créanciers souverains d’un pays qui se trouve déjà en défaut, ou qui risque de se trouver en défaut, par rapport au paiement de sa dette extérieure.
Il s’agit donc d’une réunion des pays créanciers d’un pays donné et qui vise à trouver une solution pour que le pays en question retrouve le chemin du remboursement normal de sa dette extérieure.
La solution se trouve souvent dans le rééchelonnement de la dette bilatérale du pays en difficultés. Ce processus implique des négociations difficiles qui touchent à la souveraineté du pays endetté et qui se termine souvent par un programme de réformes pénibles imposées, programme qui peut parfois provoquer une situation sociale difficile.
C’est bien pour cela qu’il faut bien se préparer pour affronter un tel processus. Le Club de Paris est toujours suivi par un deuxième club, celui de Londres, qui concerne les créanciers privés: institutions financières et autres créanciers privés.
Pourquoi le club de Paris devient-il maintenant une issue pour la Tunisie ?
L’agence de notation Moody’s vient de réviser à la baisse la notation souveraine de la République tunisienne (RT) et celle de la Banque centrale de Tunisie (BCT). La RT et sa banque centrale sont désormais notées Caa2 avec une perspective négative.
Cette notation veut dire que la Tunisie (ainsi que sa banque centrale) est classée «pays à risque très élevé». L’échelle de notation de Moody’s comporte vingt échelons. La Tunisie était classée au 8e échelon en 2010 (Investment grade) et elle est passée au 18e échelon actuellement, soit 10 révisions consécutives à la baisse de sa notation souveraine.
La perspective négative veut dire qu’en l’absence de réformes significatives en un temps relativement court, la prochaine révision de la note souveraine serait de nouveau vers la baisse. Le 19e échelon, Caa3, serait celui de la faillite annoncée.
Une impasse financière
Il est clair que la crise des finances publiques en Tunisie s’est déjà transformée en impasse financière. En effet, avec une notation Caa1 la Tunisie n’avait aucun moyen d’accéder au marché financier international, mais elle pouvait encore espérer sous certaines conditions parvenir à un accord définitif avec le FMI. Un tel accord aurait pu ouvrir la voie vers la mobilisation de nouveaux crédits au niveau bilatéral (pays «frères» ou «amis») et au niveau multilatéral (institutions financières).
Avec la notation Caa2, les chances de la Tunisie de mobiliser de nouveaux crédits se réduisent de manière significative et les chances de parvenir à un accord avec le FMI se réduisent aussi sensiblement.
Cette révision à la baisse de la notation souveraine de la RT (ainsi que celle de la BCT) a entraîné dans son sillage une révision à la baisse de la notation de 4 banques tunisiennes qui sont la Biat, la STB, Amen Bank et la Banque de Tunisie.
Pourquoi ces quatre banques? Il s’agit là des banques qui ont le plus prêté en dinars et en devises à l’Etat. Elles ont prêté à l’État des montants qui dépassent les normes et qui menacent désormais leurs équilibres fondamentaux. Le risque de défaut de l’État implique de graves difficultés pour ces banques, ainsi que pour toutes les autres banques en Tunisie, qui ne peuvent plus prêter à l’État, ni en dinars ni en devises.
Il faut noter à ce propos qu’en 2022 l’État n’a honoré aucune échéance de la dette intérieure, en dinars et en devises. Tout a été rééchelonné, parfois jusqu’en 2033 !!!
L’État tunisien se trouve donc bien dans une impasse financière. Il ne peut plus emprunter ni à l’étranger ni en Tunisie. Même le recours (excessif) à la planche à billets ne peut plus fonctionner. Il faut qu’il s’arrête purement et simplement si l’on veut éviter un dérapage plus grave de la situation financière du pays.
La BCT se dérobe à ses responsabilités
Le dernier communiqué relatif à la dernière réunion du conseil d’administration de la BCT comporte des contrevérités préoccupantes. En effet, par ce communiqué (et d’autres qui l’ont précédé d’ailleurs), la BCT essaye de se dérober de ses responsabilités et de rejeter la responsabilité entière sur le gouvernement.
En effet, la BCT reçoit des rapports quotidiens, hebdomadaires, décadaires, mensuels, trimestriels, semestriels et annuels de la part de toutes les banques. Les crédits en dinars accordés par les banques à l’État sont refinancés par la BCT (planche à billets). Les crédits accordés en devises sont préalablement autorisés (et applaudis) par la BCT. La responsabilité de la BCT dans cette impasse financière est pleine et entière.
Il faut rappeler en outre que la loi de 2016 confère à la BCT le rôle de conseiller financier de l’État! Le CA de la BCT devrait s’abstenir de publier à l’avenir de tels communiqués. La BCT devrait se concentrer plutôt sur la recherche de solutions. Comment sortir l’État tunisien de cette impasse financière.
Bien préparer le passage devant le Club de Paris
Le seul moyen pour desserrer la vis et éviter l’étouffement des finances publiques semble être aujourd’hui le rééchelonnement de notre dette extérieure et ceci ne peut se faire que par le passage devant le Club de Paris suivi du Club de Londres.
J’avais toujours soutenu l’idée qu’il fallait éviter à tout prix le passage devant le Club de Paris. Mais je pense qu’il nous reste aujourd’hui peu d’options. Nous avons en effet pris un retard énorme en matière de réformes économiques. Il est prouvé aujourd’hui que les mesures financières et monétaires sont insuffisantes. Les agences de notation, le FMI, la Banque Mondiale, les grandes banques partenaires de la Tunisie n’ont pas cessé de publier des rapports depuis au moins deux années posant clairement les questions suivantes: Qu’attend la Tunisie pour entreprendre les réformes économiques nécessaires ? Pourquoi la Tunisie lie-t-elle ces réformes aussi indispensables qu’inévitables aux discussions techniques et aux négociations avec le FMI ?
Il est clair que tant que la Tunisie ne s’engage pas dans une vraie stratégie de sauvetage de son économie, il sera très difficile de sauver les finances publiques, les entreprises publiques et l’expérience démocratique dans sa totalité.
Si nous sommes convaincus que le passage devant le Club de Paris est la seule option qui nous reste, il faudrait le préparer soigneusement dès maintenant, et surtout éviter de le faire à la dernière minute. Même pendant les moments difficiles, et surtout pendant les moments difficiles, il faut savoir raison garder.
Une négociation avec le Club de Paris, il faut savoir la réussir afin d’en alléger les conséquences sur la Tunisie et sur les Tunisiens. Il faudrait préparer soigneusement les objectifs, la stratégie de négociation, la feuille de route et surtout l’équipe de négociateurs.
N.B. N’oublions pas la visite d’Emmanuel Moulin à Tunis le 26 janvier dernier. M. Moulin est le directeur général du Trésor français et président du Club de Paris. Il a été reçu par la cheffe du gouvernement en l’absence de la ministre des Finances, du ministre de l’Economie et du gouverneur de la BCT, soit le trio qui a négocié avec le FMI.
* Expert financier.
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