La lenteur du monde à agir pour s’attaquer à la crise climatique est en train de miner nos chances de limiter le réchauffement à un seuil viable, ont mis en garde lundi 20 mars 2023 les scientifiques du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) dans un nouveau rapport, relevant que seule «une action climatique urgente peut garantir un avenir vivable pour tous».
De son côté, le secrétaire général de l’Onu, António Guterres, a averti que la planète n’a plus une minute à perdre pour éviter le pire.
A l’Onu, comme du côté des scientifiques du Giec, on estime que le rythme et l’ampleur des mesures prises jusqu’à présent, ainsi que les projets actuels, sont insuffisants pour lutter contre le changement climatique. Et le réchauffement climatique causé par l’activité humaine atteindra 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle dès les années 2030-2035.
«Il existe de nombreuses options réalisables et efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au changement climatique d’origine humaine, et elles sont disponibles dès maintenant», ont ainsi fait valoir depuis la ville suisse d’Interlaken, les experts du Giec.
En attendant, la fenêtre qui nous permettrait de contenir les dérèglements climatiques au seuil jugé viable de 1,5°C «se referme rapidement», peut-on lire dans la synthèse publiée lundi.
En 2018, le Giec avait mis en évidence l’ampleur sans précédent du défi à relever pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C. Cinq ans plus tard, ce défi est encore plus grand en raison de l’augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre, souligne le Giec.
Le temps presse, mais la voie à suivre est claire
Pour le chef de l’Onu, l’humanité est sur une glace mince – et cette glace fond rapidement. «Le taux d’augmentation de la température au cours du dernier demi-siècle est le plus élevé depuis 2.000 ans. Les concentrations de dioxyde de carbone n’ont jamais été aussi élevées depuis au moins deux millions d’années. La bombe à retardement du climat fait tic-tac», a-t-il mis en garde.
Les chiffres compilés par les scientifiques donnent d’ailleurs la mesure du défi pour la planète. Plus d’un siècle de combustion de combustibles fossiles et d’utilisation inégale et non durable de l’énergie et des sols a ainsi entraîné un réchauffement de la planète de 1,1 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) sont aujourd’hui 50% plus élevées qu’il y a 30 ans et des 2.400 milliards de tonnes imputables historiquement à l’activité humaine, plus de 40% des émissions ont été produites au cours des trois dernières décennies.
Dans ces conditions, la concentration de CO2 dans l’atmosphère bat des records année après année. Le réchauffement mondial risque fort d’atteindre 1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle, «à court terme».
Dans ce contexte, «toutes les régions du monde devraient faire face à une hausse des menaces climatiques» pour les humains et les écosystèmes. «De plus, cela se conjugue par des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses qui ont des répercussions de plus en plus dangereuses».
Escalade rapide des risques
«L’intégration d’une action climatique efficace et équitable permettra non seulement de réduire les pertes et les dommages subis par la nature et les populations, mais aussi d’obtenir des avantages plus larges», a affirmé le Président du Giec, Hoesung Lee. «Ce rapport de synthèse souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses et montre que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore assurer un avenir durable vivable pour tous».
Chaque augmentation du réchauffement se traduit par une escalade rapide des risques. La liste de ces menaces comprend notamment la hausse des vagues de chaleur meurtrières, la fonte des glaciers, la hausse du niveau des océans, la réduction de l’accès à l’eau, les inondations, la propagation de maladies et le recul de la production alimentaire. Sans compter les dizaines de millions de réfugiés climatiques prévus au cours des prochaines décennies. «Lorsque ces risques s’ajoutent à d’autres événements indésirables, tels que les pandémies ou les conflits, ils deviennent encore plus difficiles à gérer», alerte le GIEC.
«Près de la moitié de la population mondiale vit dans des régions très vulnérables au changement climatique. Au cours de la dernière décennie, les décès dus aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans les régions très vulnérables», a déclaré Aditi Mukherji, l’un des 93 auteurs de ce rapport de synthèse, relevant que «la justice climatique est essentielle car ceux qui ont le moins contribué au changement climatique sont touchés de manière disproportionnée».
Des pertes et dommages sont mis en évidence
Face à cette situation, les experts estiment qu’il est essentiel d’accélérer les mesures d’adaptation au changement climatique afin de combler l’écart entre les mesures d’adaptation existantes et les mesures nécessaires. Par ailleurs, pour maintenir le réchauffement à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière profonde, rapide et durable dans tous les secteurs.
Cela impliquerait de plafonner les émissions mondiales d’ici 2025, au plus tard, puis de les réduire de près de moitié d’ici à 2030 si l’on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Pour le chef de l’Onu, le rapport du Giec reste finalement «un guide de survie pour l’humanité et un guide pratique pour désamorcer cette bombe à retardement». «Ce rapport est un appel à accélérer massivement les efforts climatiques de tous les pays, de tous les secteurs et de tous les calendriers. En bref, notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts – tout, partout, en même temps», a dit M. Guterres.
Mais pour favoriser le développement durable, le Giec penche pour un accroissement du financement des investissements. A ce sujet, les gouvernements, les investisseurs, les banques centrales et les régulateurs financiers peuvent jouer leur rôle.
L’autre axe de la révolution verte porte sur des changements dans le secteur alimentaire, l’électricité, les transports, l’industrie, les bâtiments et l’utilisation des sols, des actions qui vont permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre. «Nous vivons dans un monde diversifié où chacun a des responsabilités et des possibilités différentes d’apporter des changements. Certains peuvent faire beaucoup, tandis que d’autres auront besoin d’un soutien pour les aider à gérer le changement», a insisté M. Lee.
Chaque pays doit faire partie de la solution
Plus globalement, il s’agit d’intégrer des mesures d’adaptation au changement climatique à des actions visant à réduire ou à éviter les émissions de gaz à effet de serre, de manière à obtenir des avantages plus larges. Par exemple, l’accès à une énergie et à des technologies propres améliore la santé, en particulier celle des femmes et des enfants; l’électrification à faible émission de carbone, la marche, le vélo et les transports publics améliorent la qualité de l’air, la santé, les possibilités d’emploi et l’équité.
D’autant que dans cette course contre la montre, le rapport précise qu’en l’absence de mesures immédiates et ambitieuses de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le budget qui nous donne 50% de chances de ne pas dépasser le 1,5°C sera pour ainsi dire épuisé d’ici 2030.
Devant un tel scénario catastrophe, le chef de l’Onu, défend pour sa part, un plan visant à dynamiser les efforts pour réaliser ce pacte de solidarité climatique grâce à un programme d’accélération où tout le monde mettra la main à la pâte. Il s’agit tout d’abord pour les parties «d’appuyer immédiatement sur le bouton d’accélération de leurs échéances de réduction nette des émissions afin de parvenir à une réduction nette des émissions à l’échelle mondiale d’ici 2050».
Plus précisément, il invite les dirigeants des pays développés à s’engager à atteindre le niveau zéro le plus près possible de 2040, la limite qu’ils devraient tous s’efforcer de respecter. De leur côté, les dirigeants des économies émergentes doivent s’engager à atteindre l’objectif de zéro net à une date aussi proche que possible de 2050 – là encore, la limite qu’ils devraient tous s’efforcer de respecter.
«Chaque pays doit faire partie de la solution. En exigeant que les autres agissent en premier, on s’assure que l’humanité arrive en dernier», a mis en garde M. Guterres.
Un programme d’accélération vers la fin des énergies fossiles
Ces contours font partie d’un programme d’accélération de l’Onu, qui mise aussi sur la fin de tout financement international public et privé du charbon. L’Onu appelle la communauté internationale à arrêter toute expansion des réserves existantes de pétrole et de gaz, en réorientant les subventions accordées aux combustibles fossiles vers une transition énergétique équitable.
«Cesser d’octroyer des licences ou de financer de nouvelles exploitations de pétrole et de gaz, conformément aux conclusions de l’Agence internationale de l’énergie», a insisté le secrétaire général de l’Onu.
Et pour y arriver, l’Onu veut la mise en place d’une réduction progressive de la production de pétrole et de gaz à l’échelle mondiale, compatible avec l’objectif de zéro émission nette en 2050. Ce qui conduira naturellement à garantir une production nette d’électricité nulle d’ici 2035 pour tous les pays développés et 2040 pour le reste du monde.
A ce sujet, il appelle également les patrons de toutes les compagnies pétrolières et gazières à faire partie de la solution.
Plus globalement, tous ces nouveaux plans climatiques doivent refléter l’accélération dont la planète a «besoin aujourd’hui, au cours de cette décennie et de la suivante». Cette feuille de route sera débattue lors du sommet sur l’ambition climatique qui se tiendra en septembre prochain à New York.
«Nous n’avons jamais été aussi bien équipés pour relever le défi climatique, mais nous devons dès maintenant passer à la vitesse supérieure en matière d’action climatique», a conclu le chef de l’Onu, relevant que la planète n’a pas «un instant à perdre».
Communiqué.
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