Le parti Baath, qui prit le pouvoir en Syrie et en Irak, a non seulement été incapable de réaliser son principal objectif : l’union de ces deux pays comme prélude à l’unité arabe, mais, par ses prises de position opportunistes, il a fini par vider le panarabisme de toute crédibilité, en avivant les conflits et les guerres qui menèrent finalement à l’occupation étrangère de la région, ainsi qu’à l’islamisme.
Par Dr Mounir Hanablia *
Ce livre est un témoignage important rapporté par l’un des dirigeants du parti politique Baath, chiite, pharmacien, fils d’avocat, qui a été membre des commandements régionaux Irakien et Syrien entre 1961 et 1963, ainsi que du conseil de commandement de la révolution dans son pays, l’Irak, et qui fuyant Saddam s’est finalement réfugié en Angleterre en 1979.
A travers sa propre trajectoire politique, on suit le cheminement du Baath depuis sa naissance jusqu’à sa prise du pouvoir en Irak puis en Syrie. On découvre ainsi son fondateur, Michel Aflak, un écrivain de la politique dont l’éloquence littéraire lui a valu d’être élevé au statut de prophète par ses disciples, et dont la propulsion au cœur du nationalisme arabe à une époque charnière, celle de la République arabe unie présidée par Nasser, constitue à posteriori la preuve de l’inanité d’un projet voué à l’échec, celui de l’Union.
Le prophète de la discorde
Mais le prophète ne s’est révélé être qu’un générateur de slogans, un illusionniste jouant sur la fibre historico-religieuse de la renaissance d’une nation arabe qui en réalité n’a jamais existé, et il n’a fourni aucun programme économique politique, social ou militaire à la réalisation de ses objectifs.
Lors de l’union syro-égyptienne réalisée à la demandé du Baath syrien, Aflak s’est effacé par nécessité devant les exigences de l’idole des foules arabes de l’époque, le président Nasser, et a accepté la dissolution de son parti en Syrie, mais sans cesser de stimuler le mécontentement des militaires syriens face à ce qu’ils considéraient comme une occupation étrangère. Et trois années plus tard, il a dans les faits appuyé la sécession, en prétendant la condamner et en réclamant le retour à une union obéissant cette fois aux vues du Baath, autrement dit aux siennes propres.
La prise du pouvoir par ce parti en Irak puis en Syrie a selon Aflak élargi les perspectives de l’union aux trois pays. Néanmoins, la sécession syrienne a porté un coup sévère à son autorité, et par l’intrigue, il a tenté d’y faire face en semant la discorde dans son parti parmi ceux qui voulaient l’écarter, aussi bien en Syrie qu’en Irak, en appuyant les militaires contre les civils, les conservateurs contre les progressistes, les putschistes contre les institutions et le caractère civil de l’Etat.
L’esprit sectaire
Ainsi Aflak a contribué d’une manière décisive à l’investissement d’un parti se prétendant socialiste par l’esprit sectaire qui allait en faire celui du pouvoir alaouite en Syrie, et du clan sunnite de Tikrit en Irak. Mais afin de ne pas confondre les causes et les conséquences, ce n’est pas lui qui a inventé les généraux irakiens, ni les ambitieux de son propre parti dont il a attisé les dissensions, et il s’est avéré dans les faits qu’en l’absence de projet politique et institutionnel bien défini, les détenteurs du pouvoir ne pouvaient être sans une police secrète à leur main, que ceux disposant des armes. Et le commandement régional du Baath irakien, pour avoir cru à la primauté du Parti par rapport à l’Etat, a fini par être démis de ses fonctions et remplacé avec la bénédiction de Aflak lui-même allié aux généraux anti-baathistes, dans un véritable coup d’État, ouvrant ainsi la voie à l’ascension de Saddam Hussein et Tarak Aziz.
Dans tout cela la démocratie n’est devenue qu’un argument de circonstance. Le code du statut personnel instauré par les alliés communistes du président exécuté Abdelkarim Kacem a été aboli à l’instigation du Mufti et de l’Ayatollah, la réforme agraire mise en veilleuse, les droits de l’homme ont été piétinés, et la guerre contre les Kurdes est devenue de plus en plus meurtrière.
Il est intéressant de noter que pour Aflak, les Kurdes n’étaient qu’une cinquième colonne au service de l’impérialisme dont les droits ne pouvaient être dissociés de ceux des Arabes ou des autres minorités.
Le Baath syrien fut pour le raïs égyptien sa némésis, qui outre la sécession et sa conséquence, l’intervention militaire au Yémen l’entraîna dans la débâcle de Juin 67. Mais si nul ne conteste aujourd’hui le patriotisme, avant tout égyptien il ne faut pas l’oublier, de Nasser pour qui le panarabisme ne fut qu’un moyen au service de son pays même s’il eut finalement des conséquences néfastes, on ne peut pas en dire autant de la troïka du Baath Aflak, Salah Al-Bitar et Akram Hourani, qui aux yeux de l’Histoire demeurent des personnages à tout le moins controversés.
Ainsi le Parti de la Nation Arabe qui prit le pouvoir en Syrie et en Irak non seulement fut incapable d’en réaliser l’union, mais installa ces deux pays dans une inimitié durable qui eut de lourdes conséquences, particulièrement lors du conflit du Liban et de la guerre du Golfe. Si le Baath a acquis une mauvaise réputation, en devenant synonyme d’opportunisme, de complot et de félonie, ce n’est pas parce qu’il fut l’expression politique des minorités religieuses chrétienne orthodoxe, druze, ismaïlienne, alaouite, qui trouvaient dans une laïcité de façade l’expression de leurs aspirations politiques communautaristes. Il fut objectivement le parti qui, par ses prises de position opportunistes, vida le panarabisme qu’il prétendait défendre de toute crédibilité, en avivant les conflits et les guerres qui menèrent finalement à l’intervention et à l’occupation étrangère de la région, ainsi qu’à l’islamisme.
* Médecin de libre pratique.
‘‘Les gîtes de la défaite : mon expérience au sein du parti Baath Irakien’’, mémoire de Hani Al-Fakiki, en arabe, éditions Riyad El-Rayyes, Londres 2011, 383 pages.
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