Dans le communiqué ci-dessous, des organisations tunisiennes et internationales appellent les autorités tunisiennes et à leur tête le président de la république Kaïs Saïed à «mettre fin aux atteintes à l’indépendance de la justice.»
Depuis le coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed du 25 juillet 2021, en passant par son décret du 22 septembre de la même année abrogeant implicitement l’ordre constitutionnel, à l’adoption un an plus tard de sa Constitution taillée sur mesure, le pouvoir judiciaire fait l’objet d’attaques incessantes visant à anéantir son indépendance et balayant ainsi le droit à un procès juste et équitable.
Par le décret-loi n°11 en date du 12 février 2022, le président de la république a dissous le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) élu, organe consacré par la Constitution de 2014 et censé garantir l’indépendance des magistrats, l’a remplacé par un Conseil provisoire dont il nomme directement près de la moitié des membres, avant de révoquer 57 magistrats le 1er juin 2022 en s’en octroyant le droit par le décret-loi n°35.
L’indépendance de la magistrature, garantie par un CSM indépendant pour lequel des générations de militants et de juristes s’étaient battus, a ainsi été annihilée par le pouvoir exécutif qui s’est autorisé à révoquer unilatéralement juges et procureurs, bafouant le droit à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial.
En août 2022, le président du tribunal administratif de Tunis, saisi par des juges révoqués, a ordonné le sursis à exécution de la révocation et la réintégration de 49 d’entre eux, au motif, notamment, que leur révocation n’était basée sur aucune preuve tangible de faute grave. Pour l’heure, le gouvernement a refusé de s’y conformer.
Le démantèlement de l’indépendance de la magistrature s’est alors doublé d’une atteinte flagrante à l’Etat de droit à travers le refus d’exécuter ces décisions judiciaires.
Pis encore, le ministère de la Justice a ultérieurement engagé des poursuites pénales contre tous ceux qui ont été révoqués, entre autre devant le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme, pour tenter de justifier leur révocation rétrospectivement.
En faisant de la justice une «fonction» et non plus un «pouvoir» à part entière, la nouvelle
Constitution, adoptée lors d’un référendum auquel n’ont participé qu’un tiers des citoyens en âge de voter, inscrit la mise au pas de la justice dans la loi fondamentale. Le même texte a vidé le CSM de sa substance et l’a déchu de son statut d’instance constitutionnelle.
Alors que les autorités multiplient les arrestations arbitraires et les poursuites judiciaires infondées contre des personnalités critiques du président Saied, celui-ci a publiquement averti «ceux qui innocenteraient » ses opposants, qu’il a qualifiés à plusieurs reprises de « terroristes», qu’ils seraient considérés «complices».
Entre ces menaces dirigées à son encontre de manière à peine voilée et la révocation arbitraire des magistrats, la justice tunisienne ne peut plus, aujourd’hui, pleinement remplir son rôle de garante des libertés et droits fondamentaux.
Les associations signataires mettent en garde contre une instrumentalisation de la justice dangereuse pour tous les justiciables, dont l’ultime rempart contre l’arbitraire demeure un pouvoir judiciaire indépendant, seul garant d’un procès équitable.
À cet effet, les associations signataires appellent :
– À la réintégration des juges, conformément aux décisions rendues en août 2022 par le président du tribunal administratif de Tunis;
– À la cessation des ingérences de l’exécutif dans les affaires judiciaires;
– Au respect du droit fondamental à un procès équitable par un tribunal indépendant et impartial;
– À l’abrogation du décret-loi n°11 du 12 février 2022 tel que modifié par le décret-loi n°35 du 1er juin 2022; et
– Au respect des standards internationaux relatifs à l’indépendance de la justice et au droit à un procès juste et équitable en conformité avec les engagements internationaux de la Tunisie.
Organisations tunisiennes :
1. Le Comité Civil pour l’Indépendance du pouvoir judiciaire
2. Association des Magistrats Tunisiens
3. Association Beity
4. L’instance nationale pour la défense des libertés et de la démocratie
5. Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
6. Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux ( FTDES)
7. La Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
8. Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD)
9. Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens
10. Al Bawsala
11. Association Al Karama pour les droits et les libertés
12. Association Citoyenneté et liberté Djerba
13. Association des familles des martyrs et blessés de la Révolution (Awfia)
14. Association des femmes pour la citoyenneté et le développement à Jendouba
15. Psychologue du Monde Tunisie
16. Association Ensemble Pour La Citoyenneté Et Le Changement
17. Association Ifeda
18. Association Joussour de citoyenneté
19. Association Karama Tozeur
20. Association Sawt Al Insen
21. Association Volontaires Bouarada
22. Coalition civile pour la défense de la Justice transitionnelle
23. Commission nationale pour les militants de gauche
24. Damj l’Association Tunisienne pour la Justice et l’égalité
25. No Peace Without Justice
26. Legal Agenda
27. Intersection Association for Rights and Freedoms
28. Justice & Rehabilitation
29. Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme
30. Initiative Mawjoudin
31. Réseau Tunisien pour la Justice Transitionnelle
Organisations internationales :
1. Euromed Droits
2. Commission Internationale de Juristes
3. Human Rights Watch
4. Avocats sans frontières
5. Organisation Mondiale Contre la Torture
6. Amnesty International
7. Danner
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