Quand un pseudo chroniqueur télé se lâche sur la Banque centrale de Tunisie pour appeler à revoir la loi de 2016 instaurant l’indépendance de ses décisions monétaires du pouvoir exécutif et qu’il qualifie les banquiers de la place de voleurs, sans qu’il soit remis à sa place, cela laisse vraiment perplexe et suscite des inquiétudes.
Par Imed Bahri
Le chroniqueur en question, Riadh Jrad en l’occurrence, qui sévit quasi-quotidiennement sur le plateau du talk-show ‘‘Rendez-vous 9’’ sur Attessia, est un «gamin» qui, malgré son jeune âge, a déjà mangé à tous les râteliers.
Il a en effet été de tous les mauvais coups au cours des trois ou quatre dernières années. Il était l’un des animateurs du mouvement dit des Gilets rouges qui, à l’instigation de Nabil Karoui, était dirigé contre l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed, mouvement qui fit pschitt en deux temps et trois mouvements, le temps d’une conférence de presse et de quelques brefs passages sur la chaîne Nessma.
Jrad a aussi roulé pour l’ancien magnat de la publicité et de la télévision, aujourd’hui en fuite à l’étranger, et il prit part activement à sa campagne électorale pour la présidentielle de 2019. Mais après la victoire de Kaïs Saïed, l’activiste n’a pas ruminé longtemps la défaite qui a vu ses rêves de gloire s’évaporer.
Un si piètre analyste
Petite girouette devant l’Eternel, montable et démontable à souhait, le Jrad de service a juste retourné sa veste pour devenir l’un des plus féroces partisans du nouveau président. Et n’essayez surtout pas de crier plus fort que lui… D’autant que la parenthèse de sa vociférante connivence avec Nadia Akacha n’a pas résisté longtemps à la disgrâce de l’ex-cheffe de cabinet de Saïed. Coïncidence ou signe du destin : celle-ci est aussi en fuite à l’étranger. C’est à croire que le sieur Jrad est un si piètre analyste qu’il mise toujours sur le plus mauvais cheval… ou la plus mauvaise jument.
N’ayant pas froid aux yeux et ne reculant devant aucun combat perdu d’avance, le chroniqueur d’Attessia s’est lancé ces derniers jours dans un nouveau combat. C’est ainsi que, du haut de sa superbe ignorance des arcanes de l’économie et de la fiance, il est parti en guerre contre la Banque centrale, dont l’indépendance du pouvoir exécutif semble l’énerver au plus haut point, et contre ce qu’il appelle, dans le sillage de certains activistes, le «cartel des banques» dont le tort est, selon lui, de gagner beaucoup d’argent. Et de ne pas en donner assez aux pauvres et aux démunis, comme si le rôle des banques était de parer aux carences de l’Etat, ou de jouer aux pères Noël.
On peut certes reprocher beaucoup de choses au système bancaire tunisien, à commencer par sa soumission intéressée à l’Administration. On peut lui reprocher son «entente» avec celle-ci, et souvent aux dépens des clients institutionnels et individuels. On peut lui reprocher également sa manière d’agioter idiot et de se sucrer à volonté, ainsi que son manque de goût pour le risque.
On reprocherait volontiers à nos banques de ne pas aider suffisamment à la relance économique dans le pays, en volant au secours des entreprises en manque de liquidité pour développer leurs activités. On pourrait aussi enquêter sur certains cas de conflit d’intérêt qui sont derrière de détestables accointances de toutes sortes (il suffit pour cela de jeter un coup à la composition de certains conseils d’administration); lesquels accointances, sous d’autres cieux, auraient provoqué des scandales.
La porte à l’anarchie
Tous ces défauts peuvent être mis sur la table, discutés et des remèdes trouvés pour les corriger afin que le système bancaire puisse jouer un rôle plus efficace au service de l’économie nationale. Mais de là à remettre aujourd’hui en question le principe même de l’indépendance de l’Institut d’émission et à appeler à revoir la loi de 2016 ayant instauré l’indépendance de sa politique monétaire pour l’assujettir à nouveau aux diktats du pouvoir exécutif, surtout au moment où ce pouvoir ne donne pas l’impression de bien maîtriser son sujet et de naviguer à vue, sans stratégie ni vision, c’est ouvrir la porte à l’anarchie.
Ce qui dans cette affaire est d’autant plus inquiétant c’est qu’un tel discours est aujourd’hui tenu par des responsables politiques, Jrad et les autres comparses ne faisant en réalité que donner une plus grande résonnance médiatique à ce qui se chuchote dans les coulisses du pouvoir.
C’est pourquoi nous trouvons étrange le silence des autorités financières et à leur tête le gouverneur Marouane Abassi, qui tardent à communiquer clairement sur le sujet pour rassurer l’opinion qu’il n’y a pas de risque de dérapage qui aggraverait la crise financière déjà asphyxiante que traverse le pays.
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