Le président Kaïs Saïed s’est rendu mardi 13 juin 2023 à Gafsa, où la production de phosphate, l’une des principales richesses du pays, est souvent paralysée par des mouvements de protestation menés par les chômeurs de la région. Il était temps, mais les choses vont-elles s’améliorer maintenant ?
Par Imed Bahri
Mardi soir, le chef de l’Etat s’est rendu à la délégation Redeyef, où se trouve une unité de production de phosphate, dont le siège est occupé depuis 2020 par des foules de manifestants en recherche d’emploi.
Les troubles sociaux ont entraîné un arrêt forcé de la production commerciale de phosphate et, par conséquent, une baisse drastique des livraisons aux fabricants d’engrais chimiques, des exportations et des recettes pour les caisses de l’Etat.
Dès son arrivée sur les lieux, le président de la République a rencontré une foule de demandeurs d’emploi. Ils souhaitent tous être recrutés par des entreprises environnementales, la Société tunisienne pour le transport de produits miniers et la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), des entreprises qui emploient déjà plus du double ou du triple de leur besoin et dont le surplus d’effectif perçoit des salaires sans effectuer la moindre tâche utile.
«Lancez vos propres projets», leur dit-il
A cette occasion, le chef de l’Etat a souligné que la Tunisie manque actuellement de ressources financières et a grand besoin de ses richesses phosphatières et de tout son potentiel national pour relever les grands défis socio-économiques auxquels elle est confrontée. «Il est impératif que le secteur des phosphates revienne à une production normale le plus rapidement possible», a-t-il déclaré.
«Le Conseil national de sécurité s’est réuni le 26 avril uniquement pour examiner en profondeur la question de la production de phosphate», a-t-il rappelé aux demandeurs d’emploi, sans indiquer les mesures prises à l’issue de cette réunion, si mesures il y a eu.
«Il est grand temps que vous preniez l’initiative et que vous lanciez vos propres projets privés», a lancé le président de la République aux protestataires, les exhortant à s’impliquer davantage dans l’exploitation des terres agricoles pour créer de la richesse.
Le président Saïed a également tenu à rassurer les travailleurs de la CPG, souvent empêchés de travailler par les mouvements sociaux, sur l’avenir de leur société. «Il n’est pas question de vendre l’entreprise», a-t-il déclaré, avant de reprendre la litanie de la lutte contre la corruption, en réaffirmant sa volonté de traduire en justice «les corrompus» qui, selon lui, cherchent à mettre à genoux l’Etat et les entreprises publiques.
Le mouvement de protestation des demandeurs d’emploi à Redeyef a largement perturbé le processus de commercialisation et de livraison depuis Redeyef d’un stock important de phosphate commercial, estimé à 1,5 million de tonnes, aux clients de la CPG, principalement des fabricants d’engrais chimiques.
Des mots, toujours des mots…
Il convient de rappeler aussi que la production nationale de phosphate était de 10 millions de tonnes en 2010, l’année précédant celle de la révolution, et que depuis, la production a du mal à dépasser 3 millions. Les gouvernements successifs ont fait toutes les concessions imaginables, en créant notamment des dizaines de milliers d’emplois fictifs, sans pour autant obtenir la paix sociale espérée.
En poste depuis quatre ans, le président Saïed, qui a aujourd’hui plus de pouvoirs que n’en ont jamais eus tous les précédents gouvernements réunis, n’a pas réussi, lui non plus, à relancer la production phosphatière dans le pays. Et rien ne laisse supposer que ses exhortations et ses appels à la reprise de la production vont être suivis d’effet, d’autant plus qu’il n’a annoncé aucune mesure concrète en ce sens ni affirmé clairement la volonté du pouvoir exécutif de faire respecter la loi et l’ordre sur les sites de production. Et ce ne sont pas les vagues menaces contre les soi-disant corrompus qui s’attaquent à l’Etat, et dont nous nous sommes lassés, qui vont changer quelque chose à la situation.
En prenant la peine d’aller à Gafsa à la rencontre des chômeurs du bassin minier, quatre ans après son accession à la magistrature suprême (il était temps!), avec le risque de se voir huer ou de susciter des attentes qui seront difficiles à satisfaire, le président de la république montre qu’il est à court de solutions pour sortir l’économie tunisienne de la crise où elle se morfond depuis au moins une décennie. Et s’il faut une preuve que cette visite a été improvisée : il est allé à Redeyef les mains vides, sans aucune mesure concrète à annoncer.
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