La Tunisie face aux mirages italiens

Les relations entre la Tunisie et l’Italie prennent un tournant surprenant. Une nouvelle dynamique semble s’établir, mettant en évidence une connexion particulière entre Kaïs Saïed et Giorgia Meloni. Dans un monde où les intérêts géopolitiques dictent souvent les règles du jeu, il serait intéressant d’explorer les motivations profondes qui poussent Rome à continuer à soutenir Carthage. 

Par Hssan Briki

Ces derniers mois, l’Italie est engagée dans un lobbying international en faveur de la Tunisie. Elle a joué un rôle central dans le dernier projet d’accord de partenariat global et stratégique entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), et continue de plaider auprès des bailleurs de fonds mondiaux pour le renforcement de leur aide à notre pays.

La sécurité avant les droits

L’agence de presse italienne Nova a indiqué, mercredi 23 août 2023, que le secrétaire d’État italien à la présidence du Conseil des ministres, Alfredo Mantovanu a lancé un appel à le FMI afin de «mettre fin à l’impasse », regrettant ce qu’il a appelé «la rigidité de certaines organisations internationales, comme le FMI, qui lésine encore sur l’accord de crédit à la Tunisie, estimant qu’elle doit d’abord garantir le respect des droit ». «Si vous n’êtes pas en mesure de payer le salaire des fonctionnaires, y compris des policiers, vous n’êtes pas en mesure de garantir l’ordre public et donc les droits sont moins protégés», a-t-il justifié, avec une évidente démagogie, comme pour dire aux bailleurs de fonds : ne demandez pas au gouvernement tunisien de respecter les droits et les libertés s’il n’est pas en mesure de payer le salaires de ses fonctionnaires !

Abondant en ce sens, le ministre des Affaires étrangères italien Antonio Tajani a déclaré, pour sa part, le même jour, selon une dépêche de l’agence Nova, que le devoir de l’Italie serait «de garantir la stabilité de la Tunisie et non de la transformer en Suède, en Norvège ou Danemark». Insultante ironie s’il en est ! Cette phrase pourrait être traduite ainsi : la sécurité doit prévaloir sur les droits et les libertés, une approche qui était préconisée par les partenaires occidentaux de la Tunisie avant la révolution de 2011 et on en vu le résultat.

Les mirages italiens

Les relations internationales se basent généralement sur les intérêts que chaque partie défend égoïstement. Et l’intérêt de l’Italie, pays membre du G7 et l’Union européenne, pour la Tunisie, pays arabe et africain en situation de grande crise économique, se lit uniquement à l’aune de la crise migratoire.

Etant exposée aux flux des migrants clandestins en provenance des côtes tunisiennes, l’Italie estime qu’il est de son devoir de convaincre les autres pays occidentaux de voler au secours de notre pays afin qu’il puisse lutter plus efficacement contre la migration clandestine.

Cette approche est d’ailleurs défendue par la cheffe du gouvernement italienne depuis sa campagne électorale sous la bannière du parti d’extrême-droite Fratelli D’Italia. Elle s’était même donné l’objectif ô combien ambitieux et irréalisable de «zéro migrant» en mettant en place un blocus naval en Méditerranée pour les bateaux transportant des migrants en provenance des côtes nord-africaines. Plus difficile à dire qu’à faire et elle ne manquera d’en faire l’expérience à ses dépens, l’Italie n’ayant jamais été autant submergée par les flux migratoires que depuis que Meloni est aux commandes. D’où le dilemme que vit aujourd’hui la Première ministre italienne: ses promesses électorales se sont fracassées sur le mur de la réalité.   

Dans une intervention à la radio italienne Italia 1, le 5 août 2022, Meloni affirmait que «la meilleure solution au problème [de l’immigration, Ndlr] est d’empêcher le départ et non l’arrivée, bloquer le départ est plus efficace». Et c’est exactement ce qu’elle cherche à faire aujourd’hui avec la Tunisie, dont l’actuelle direction est très coopérative. Et pour preuve : 30.000 migrants ont été interceptés par les gardes-côtes tunisiens au cours du premier semestre de l’année en cours, presque l’équivalent du nombre de migrants interceptés durant toute l’année précédente (38.372). 

La décision n’est pas à Rome

En contrepartie de cette coopération active, la Tunisie espère bénéficier d’une aide européenne substantielle qui lui permettra de remédier à son déficit budgétaire, de rééquilibrer ses finances publiques et de relancer son économie en panne.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le mémorandum d’accord sur la migration avec l’Union européenne, signé à Carthage en juillet dernier, en présence de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, de la première ministre italienne Giorgia Meloni et de son homologue néerlandais Mark Rutte.

Cet accord prévoit une aide budgétaire directe de 150 millions d’euros pour l’année en cours et une assistance financière de 900 millions d’euros sous forme de prêt conditionné par la signature préalable de l’accord avec le FMI pour une aide de 1,9 milliard de dollars.

Quand on connaît l’ampleur des besoins financiers de la Tunisie, ces aides pourraient paraître très insuffisantes. Encore faut-il qu’elles soient servies un jour. Or, rien n’est encore garanti, et l’Italie, malgré tout son activisme en faveur de la Tunisie et qui s’apparente davantage à des gesticulations diplomatiques et médiatiques sans lendemain, n’y pourra finalement pas grand-chose. Car elle ne tient pas la clé de la décision finale, ni à Bruxelles ni à Washington.

Pour sa part, la Tunisie doit rembourser une dette équivalant à plus de 80% de son PIB, sans compter les dettes de ses entreprises publiques, et faire face à des pénuries régulières de produits essentiels, que l’État doit importer avec des devises fortes qui se font rares. Face aux mirages italiens, elle est en train d’apprendre qu’elle doit finalement résister è tous les mirages et compter sur ses propres moyens pour espérer se relever.  

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