Passions mises à part, qu’on le veuille ou non, seuls les Occidentaux sont, effectivement, capables de freiner l’ardeur des Israéliens, de mettre fin à la guerre à Gaza et d’aider les Palestiniens à relancer, le moment venu, des négociations de paix.
Par Salah El-Gharbi *
Le coup d’éclat du 07/10 nous a surpris, nous autres Arabes, et nous a transportés d’une immense joie. Ce jour-là, assis confortablement sur nos canapés, subjugués par le spectacle de ces Israéliens terrifiés et aux abois, nous nous sommes laissé envahir par cet agréable sentiment de revanche qui était venu calmer notre dépit et dissiper nos aigreurs. Et notre jouissance était si incommensurable qu’on était loin de mesurer les conséquences de ce qui nous paraissait comme un exploit inédit ni d’imaginer l’impact de ces images, destinées plutôt au public arabe, sur l’opinion internationale, tellement notre confiance en les stratèges de Hamas était grande. Dès lors, il n’était pas question pour nous de bouder notre plaisir, mais plutôt, de profiter de ces mémorables instants d’intense émotion.
On exultait de joie, quand, soudain, tout s’assombrit. Et la riposte israélienne fut foudroyante. Abattus, pétris de chagrin, puis, horrifiés, scandalisés, et tout en priant Dieu de protéger nos frères à Gaza, nous nous sommes mis à vociférer et à maudire, à la fois, l’impitoyable ennemi et ses acolytes dont le tort serait de laisser faire ce dernier, tout en se solidarisant avec lui.
Ainsi, ce soir-là, le sentiment de frustration était si profond que nous nous sommes mis à délirer pestant contre ces «donneurs de leçons», ces «faux démocrates» et ces «prétendus protecteurs des droits de l’homme», nous qui avions acclamé l’invasion de l’Ukraine, un pays membre des Nations-Unis, tout en nous empressant de nous ranger du côté de l’agresseur.
Passions funestes et voix de la raison
Ainsi, nous voilà, depuis des décennies, nourris de déceptions, allant de frustration en frustration, que ni les discours incantatoires, ni les voix vindicatives, ni les funestes coups d’éclats sporadiques, tantôt contre les Occidentaux, tantôt contre les Israéliens, ne sont parvenus à combler. Au contraire, à la suite de chaque grande crise, les territoires palestiniens n’ont jamais cessé de se rétrécir au profit des colons ce qui ne fait que rendre la situation d’une complexité inouïe.
Certes, la cause palestinienne demeure, incontestablement, la cause la plus juste au monde et le drame des Palestiniens, privés de leur droit d’avoir un Etat souverain, reste l’une des aberrations de l’époque contemporaine. Soutenir les attentes légitimes de cette population malmenée par les caprices de l’Histoire reste, par conséquent, un devoir pour tout homme libre, épris de justice et soucieux de d’équité.
Mais, notre solidarité aussi profonde et aussi sincère soit-elle, devrait-elle nous faire perdre notre lucidité, et nous laisser, ainsi, abuser par les voix délirantes, celles des passions funestes tout en restant sourds à la voix de la raison ?
A travers l’Histoire, l’Europe en particulier, qui a connu des tensions cycliques et vécu des guerres successives, a fini par comprendre que la violence, à elle seule, ne saurait résoudre les conflits d’intérêts entre Etats et que les négociations et les compromis restent une nécessité non seulement pour sortir de la crise mais aussi, pour ne pas insulter l’avenir.
Un retard de deux décennies
Or, aussi bien les Arabes que les Juifs, ces sémites, appartiennent, tous les deux à des différents degrés, à cette catégorie de peuples qui, loin de croire à la vertu du pragmatisme en politique, continuent à privilégier la force seule, à leurs yeux, capable de régler les litiges. Ainsi, dans nos sociétés, par exemple, la tendance à privilégier le compromis pour éviter un conflit stérile, n’est pas dans notre ADN. De la sorte, on est toujours prêts à dégainer même pour des futilités, nous méfiant du dialogue, à nos yeux, synonyme de faiblesse, voire de lâcheté.
Et souvent, cette fatalité ethnique nous coûte cher. D’ailleurs, elle nous a fait, par le passé, perdre de véritables opportunités. Ainsi, aujourd’hui, n’est-il pas légitime de se demander si les pourparlers d’Oslo n’étaient pas venus en retard de deux décennies et qu’ils avaient eu lieu à un moment où tout était cadenassé, à la suite de la guerre de Six jours qui avait provoqué, stupidement, des dégâts irréparables dont les Palestiniens payent, aujourd’hui, les frais. A l’époque, on s’était laissé fourvoyer par les fanfaronnades de ces dirigeants arabes qui nous promettaient de jeter les Israéliens à la mer.
Aujourd’hui, il est temps de comprendre que passions et politique ne riment jamais ensemble et que l’ennemi de mon ennemi n’est pas forcément mon ami, que l’ami de mon ennemi peut ne pas être mon ennemi et que donner à un conflit politique une dimension ethnique en opposant le «nous», à un supposé «ils» qui désigne l’Occident, cette une entité hybride, ne saurait nullement aider à rétablir le droit.
Par conséquent, qu’on le veuille ou non, seuls les Occidentaux sont, effectivement, capables de freiner l’ardeur des Israéliens et d’aider la cause palestinienne à parvenir à relancer, le moment venu, le processus des négociations.
Certes, la haine qu’on nourrit en nous contre «eux» nous permet de nous rassurer sur nous-mêmes, mais elle ne saurait, aucunement, nous aider à surmonter nos angoisses et dépasser nos propres contradictions, celles de populations en désarroi, perdues dans un monde qui avance sans elles.
En attendant un vrai sursaut, pour nous-mêmes, cessons de confondre Gaza et Hollywood et apprenons à ne pas nous tromper de héros. Restons lucides et vigilants. Sachons que les coups d’éclat sont souvent éphémères et que les vrais actes héroïques sont ceux qui contribuent à changer positivement et durablement le réel pour le bien de tous.
* Ecrivain et analyste politique.
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