Alors que la guerre à Gaza glisse jusqu’à la mer Rouge et que les Houthis rejoignent la bataille contre Israël, elle se transforme en une menace stratégique régionale qui pourrait se transformer en une guerre indépendante qui ne sera pas nécessairement liée aux développements dans le territoire palestinien.
Par Zvi Bar’el *
Si la perception de la menace Houthi au début de la guerre était marginale et a reçu une réponse tactique, comme l’interception des drones et des missiles lancés depuis le Yémen vers Eilat et sur les navires naviguant dans la mer Rouge, alors nous disons qu’il n’y a pas maintenant de véritable réponse aux menaces des Houthis.
La présence de destroyers américains et de navires israéliens en mer Rouge et l’envoi d’un navire de guerre français dans la région n’ont pas dissuadé les Houthis. Jeudi [14 décembre, Ndlr], une tentative d’attaque contre le container Maersk Gibraltar, qui se dirigeait vers le canal de Suez, a échoué. Mais la décision des propriétaires de ce navire – la compagnie de transport maritime Maersk – de ne plus utiliser la route maritime en mer Rouge, et dans son sillage la compagnie Hapag Lloyd, dont le navire a été attaqué la veille [mercredi 13 décembre, Ndlr], montre que les attaques tactiques contre les Houthis, telles que le bombardement spécifique de rampes de lancement de missiles ou l’imposition de sanctions économiques à ceux qui les aident en dehors du Yémen, sont insuffisantes. Les États-Unis ont décidé d’accélérer la formation d’une coalition internationale qui œuvrera pour garantir la liberté de navigation en mer Rouge, mais il semble que ceux qui peuvent y aider immédiatement ne se précipitent pas pour rejoindre cette coalition.
Un réseau d’intérêts régionaux
L’Egypte, qui a annoncé [16 décembre, Ndlr] avoir abattu un objet volant près de la ville de Dahab dans la péninsule du Sinaï, n’a pas encore officiellement annoncé son intention de rejoindre la coalition. En 2015, lorsque l’Arabie saoudite a lancé la guerre contre les Houthis, l’Égypte notamment a été l’un des premiers pays à rejoindre la coalition arabe à laquelle participaient les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, même si sa participation était alors déclarative.
Maintenant que l’Égypte est la principale victime de la guerre des Houthis contre Israël, puisque le canal de Suez a rapporté environ 9,5 milliards de dollars l’année dernière, soit 34% de plus que l’année précédente, elle pourrait perdre la plupart de ses revenus. Malgré cela, l’Égypte hésite encore. Selon elle, rejoindre cette coalition dirigée par l’Amérique contre les Houthis n’est pas cohérent avec ses efforts pour montrer qu’elle soutient la population de Gaza dans sa détresse et en tant que pays qui veut servir de médiateur pour parvenir à une solution politique.
Les Émirats arabes unis, partenaire de l’Arabie saoudite dans la guerre contre les Houthis, se sont retirés de la scène fin 2019 et depuis, après avoir signé des accords de coopération avec l’Iran, ils se sont libérés de la menace houthie. En août 2022, Abou Dhabi a rouvert son ambassade à Téhéran et est devenu le principal partenaire commercial de l’Iran au Moyen-Orient, malgré la normalisation de ses relations avec Israël.
L’Arabie saoudite elle-même ne montre pas non plus d’enthousiasme à rejoindre la coalition américaine, craignant, à juste titre, qu’elle puisse redevenir une cible pour les Houthis après que le cessez-le-feu conclu en avril 2022 lui ait donné une longue période de calme.
L’Arabie saoudite est actuellement en train de finaliser un projet d’accord de paix avec les Houthis, un processus soutenu par les États-Unis, qui répondaient à la demande de l’Arabie saoudite de ne pas intensifier sa réponse contre les Houthis. Aux considérations saoudiennes s’ajoute également une volonté de maintenir, voire d’améliorer, ses relations avec l’Iran, comme l’a annoncé [vendredi 15 décembre, Ndlr] le vice-ministre des Affaires étrangères lors d’une réunion tripartite à Pékin avec ses homologues iranien et chinois.
Face au réseau d’intérêts des États du Golfe et de l’Égypte – les principaux pays arabes qui ont été lésés par les activités de l’aile yéménite de l’axe de la résistance – les États-Unis se situent dans une situation de compétition et non comme une superpuissance avec laquelle la coopération de ses alliés serait implicitement compréhensible.
Une zone d’influence de l’Iran
Parallèlement à ces forces se trouve un partenaire majeur, l’Iran, dont le ministre de la Défense, Mohammad Reza Ashtiani, a annoncé [samedi 16 décembre, Ndlr] que «la coalition internationale anti-Houthi pourrait être confrontée à des problèmes majeurs si elle commençait à opérer dans une région où nous jouissons d’une supériorité». Si l’Iran a jusqu’à présent cherché à se présenter comme un spectateur non impliqué militairement dans la scène, que ce soit à Gaza, au Liban ou au Yémen, et semble se contenter d’exprimer son soutien à la résistance et aux démarches diplomatiques qui mèneront à un cessez-le-feu, la déclaration d’Ashtiani le place, pour la première fois, comme pays de confrontation directe. Et la région de la mer Rouge comme zone d’influence de l’Iran.
Cette décision pourrait avoir des implications considérables dans une autre zone volatile, le golfe Persique. La manière dont les États-Unis et leurs alliés répondront à la menace des Houthis dans la mer Rouge consistera à transmettre un message décisif contre les menaces iraniennes et les dommages causés à la navigation dans le détroit d’Ormuz.
En octobre dernier, le député conservateur Hassan Nairouzi a menacé : «Si les États-Unis interviennent dans la guerre à Gaza…, la résistance au Moyen-Orient et en Asie occidentale aura la force de répondre. Il n’est pas non plus improbable que nous puissions fermer le détroit. Si les États-Unis aident directement Israël, nous fermerons le détroit d’Ormuz.»
Ce n’est pas la première fois que l’Iran utilise la menace contre la navigation dans le golfe Persique, mais si cette menace était dirigée contre les activités américaines directes contre l’Iran, il utilise désormais Gaza et les Houthis comme base à partir de laquelle lancer cette menace. **
D’après ‘‘Haaretz’’ (17/12/2023).
* Analyste israélien, chroniqueur au journal Haaretz.**
** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Donnez votre avis