Né en 1969 à Zérate, en Argentine, Leandro Calle vit à Cordoba (Argentine) où il enseigne la littérature latino-américaine.
Poète, traducteur et universitaire. A publié plusieurs recueils de poésie dont certains sont traduits en français : Une lumière venue du fleuve et autres poèmes, trad. Yves Rouillère, Ed Atopia, Rennes, 2016.
Mon père va à l’enterrement du chien
et derrière mon père mes six ans
et au-dessus de nous la nuit va
les cheveux raides et sans étoiles.
La lampe de poche, la pelle et la douleur
grattent éperdument dans la nuit noire.
Mon père creuse un puits tandis que je pleure
et le chien ne meurt plus, il est calme.
Le puits est profond, la tristesse est profonde
et il nous semble voir l’animal flotter.
La terre est une gigantesque bouche
avide finalement de sa ration de chair.
Le chien roulé en boule, de dessous la couverture,
s’est gavé d’éloignement et d’accalmie.
Une fourmi pénètre dans le museau
et commence son voyage téméraire.
Le chien entre dans la terre. Avec mon père
nous entrons dans une zone de douleur.
Porté sur le côté, la pelle a soif
la lampe, à tâtons, recherche l’eau
qui faisait son nid dans les yeux du chien.
Le puits est humide et profond. Le chien
dort. Mon père se repose. Je pleure,
ma plainte est sans consolation car je comprends
que ma mort m’attend de l’autre bord.
On ne peut y échapper. Nul n’y échappe.
La terre fait un travail de silence,
elle mange des œufs de lumière, elle boit l’ombre.
Vient le moment de recouvrir le chien
pelletées après pelletées mon père
recouvre les côtes de la mort
sous les crachats de dieu il construit
un souvenir de sel. Un aboiement
humain. Moignon de soleil dans les terres.
Le chien vit au fond de nos cœurs
mais alors, s’il vit et se réveille
comment pourra-t-il sortir d’entre la terre ?
Mon oreille au sol cherche à écouter
le battement du chien qui se réveille
mais le chien est mort et le silence
lèche mon cœur de son couteau.
Il n’y a plus rien à faire, la besogne
de mon père est terminée. Le chien mort
enterré au centre de la terre
il reste à fermer les yeux et à oublier.
Nous revenons avec la pelle et la lampe
Nous nous lavons les mains et le visage.
Un baiser sur la joue et va dormir.
Je m’endors. Je rêve et dans le rêve le chien
me parle des fleurs et des fruits.
Puis il prend un air sérieux et se questionne :
Tu vas donc nous donner de la terre, ton silence ?
Je le regarde courir parmi les nuages
il répète ses questions, y répond
puis arrive jusqu’à moi et m’admoneste :
ce pays s’écroule dans l’intérieur de ses terres
il est en terre enterré, nous le veillons
et l’odeur de pourri nous épouvante.
Ramasse la lampe de poche, sans ton père,
soulève la pelle et creuse, creuse un trou
au beau milieu de la nuit et pleure.
Cherche un os de lumière. Laisse l’ombre
ce n’est pas le moment d’enterrer les os
c’est plutôt le moment de les rechercher.
Prends la pelle et creuse. Creuse, creuse
il y a un pays à l’intérieur de la terre.
‘‘Passer et autres poèmes’’, Éditions de l’Éclat, Paris, 2022.
Traduction d’Yves Roullière
(Remerciements à l’auteur).
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