Il a fallu que le chef de l’Etat lui-même l’ordonne, pour que les barrières sécuritaires installées, depuis des années, à l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, soient levées et que cette avenue soit ouverte sans restriction aux piétons et aux automobilistes. (Illustration : Kaïs Saïed aux forces de sécurité : «Dégagez-moi ces barrières!»)
Par Imed Bahri
C’était hier, mardi 19 mars 2024, la veille de la célébration du 68e anniversaire de l’indépendance de la Tunisie, à l’issue de la réunion que le président de la république Kaïs Saïed a eue avec le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, et de hauts cadres sécuritaires.
On ne peut certes que s’en réjouir, car la manière avec laquelle la bâtisse du ministère de l’Intérieur, sise au cœur de l’avenue Habib Bourguiba, se barricadait jusque-là, multipliant les barrières avec les citoyens, avait quelque chose de pathétique et d’humiliant pour ces derniers, eu égard la portée symbolique de cette artère du centre-ville de la capitale baptisée «avenue de la révolution». N’est-ce pas dans cette avenue que les partisans de Saïed avaient fêté, le soir du 13 octobre 2019, la victoire de leur candidat à la présidentielle ?
L’«avenue de la révolution» rendue aux citoyens
On peut aussi se féliciter du fait que le président de la république, qui est en poste depuis bientôt cinq ans, se soit enfin décidé, à quelques mois d’une nouvelle présidentielle, à prendre une telle décision pour voir l’avenue Bourguiba «libérée» de l’emprise de la police, et c’est le cas de le dire, et rendue aux citoyens qui ont toujours aimé se promener entre ses rangées de ficus dans le terre-plein central réaménagé à cet effet, et assez joliment du reste, dans les années 1990, sous le règne de l’ancien président Ben Ali.
Cependant, doit-on attendre à chaque fois que le président de la république agisse pour voir les choses bouger enfin dans le pays, y compris concernant des sujets aussi banals que la restauration d’une piscine municipale, comme ce fut le cas, il y a quelques semaines, lors de sa visite à cette piscine abandonnée depuis des décennies, ou encore les conditions de circulation des passagers et des voitures au centre de la capitale?
C’est à se demander ce que font les 700 000 agents de l’Etat et les quelques milliers de hauts cadres (ministres, secrétaires d’Etat, gouverneurs, délégués, directeur généraux, etc.) qui sont payés pour prendre de telles décisions et de veiller à leur exécution, mais qui semblent désormais attendre des instructions de la plus haute autorité du pays pour… daigner bouger le petit doigt.
Haro sur les traitres à la nation
Le scénario de la «libération» de l’avenue Habib Bourguiba par le président Saïed vient conforter la thèse développée par ce dernier, et qu’il développe à chacune de ses sorties officielles, selon laquelle une bonne partie l’administration publique traîne les pieds, rechigne à accomplir sa mission au service des citoyens et est même noyautée par de méchants lobbies d’intérêt. Ce qui, d’ailleurs, a fait dire au président, encore une fois, sous le ton de la menace, que «les responsables qui ne s’acquittent pas de leurs devoirs au service des citoyens n’ont pas de place dans les administrations».
En appelant, par ailleurs, et pour la énième fois, à lutter contre la corruption et à remédier aux causes qui ont conduit à la prolifération de ce phénomène, le président Saïed laisse entendre que des agents de l’Etat ne sont pas suffisamment actifs sur ce front ou qu’ils laissent faire sciemment, puisque le constat est fait tous les jours que ce fléau, loin de se réduire, continue de proliférer dans toutes les sphères de la société.
Le chef de l’Etat a profité aussi de l’occasion pour décocher quelques flèches contre ses détracteurs en critiquant, une nouvelle dois, «ceux qui prétendent être des patriotes alors qu’ils se jettent dans les bras de forces étrangères», ajoutant que «parmi eux figurent des personnes appuyées par les sionistes», et appelant à appliquer à leur encontre les dispositions de l’article 60 du code pénal, lequel, rappelons-le, prévoit la peine de mort pour tout Tunisien reconnu coupable de «trahison». «Ces derniers ne se contentent de trahir leur patrie, mais ils trahissent aussi le peuple palestinien», a encore insisté le président, élargissant ainsi le champ de l’application du dit article, tout en soulignant, dans ce même contexte, que «la colonisation à distance n’est pas moins dangereuse que la colonisation directe», pointant ainsi une forme de néocolonialisme pernicieux exercé par les enfants du pays au service d’Etats étrangers.
Il reste cependant à deviner les noms de ces supposés «traitres» que le président Saïed pointe ainsi du doigt, mais il n’est pas difficile de deviner que par cet épithète il désigne certains de ses opposants.
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