C’était écrit dans le ciel et prévisible avec certitude: la Tunisie ne peut pas boycotter les rencontres du printemps du FMI, malgré les récentes déclarations officielles et une rhétorique globalement «hostiles» aux «diktats» de l’institution financière internationale.
Moktar Lamari *
On vient d’apprendre le décollage de Tunis de la délégation tunisienne en direction de Washington pour les travaux du FMI.
La Tunisie participe aux réunions annuelles du Printemps du Groupe de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) qui ont lieu à Washington du 15 au 20 avril 2024.
La composition de la délégation, compte en plus des représentants traditionnels, la cheffe du Cabinet du Premier ministre, Ahmed Hachani. C’est exceptionnel…
Une nouvelle équipe
La délégation tunisienne participant aux activités de ces réunions comprend le ministre de l’Economie et de la Planification Feryel Ouerghi, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BVT), Fethi Zouhaier Nouri, et le directeur du cabinet du Premier ministre Samia Charfi.
Les membres de la délégation tunisienne auront des réunions avec des hauts fonctionnaires de certaines institutions financières régionales et internationales, ainsi que d’autres réunions avec un certain nombre de leurs homologues de pays amis et partenaires. Ils seront inévitablement approchés par des bailleurs de fonds, entre vautours et rapaces, pour ne pas dire plus.
Ces réunions seront l’occasion d’informer les partenaires sur les orientations de réforme du gouvernement tunisien visant à améliorer le modèle de croissance économique, à maintenir les équilibres financiers et à améliorer les conditions sociales, dans le cadre de la vision stratégique de la Tunisie 2035, qui a été élaborée, ainsi que du plan de développement 2023-2025.
Les réunions seront également l’occasion de discuter des possibilités de renforcer davantage la coopération, en particulier à ce stade délicat où tous les pays du monde, en particulier les pays en développement, sont confrontés à de nombreuses difficultés économiques, financières et sociales, ainsi qu’aux récents défis liés au changement climatique, à l’énergie et à la sécurité alimentaire.
Les membres de la délégation assisteront à des sessions officielles et à diverses réunions de gouverneurs, en plus de séminaires et de tables rondes qui seront organisés en marge des réunions annuelles sur des sujets importants et vitaux liés aux défis et aux perspectives du développement économique et social et aux enjeux du développement durable dans le monde.
Des constats et des questions
Mais trois constats et trois questions s’imposent, ici et maintenant.
Constat 1– la délégation de hauts responsables représentant la Tunisie au sein des bureaux du FMI pendant 5 jours est constituée de 3 nouveaux (le gouverneur, la ministre de l’Economie et la cheffe de cabinet). Ceux-ci feront ainsi leur baptême de feu avec les prudences nécessaires. La ministre de l’Economie a rencontré quasiment tous les ambassadeurs des pays du G7 quelques jours avant ce voyage. Le nouveau gouverneur de la Banque centrale n’a pas révisé à la baisse du taux directeur, malgré le recul de l’inflation.
Constat 2– dans le discours officiel de la Tunisie, on a remarqué les dernières mois que le chef de l’Etat mettait de l’avant le ministre des Affaires étrangères comme vis-à-vis du FMI. Ce dernier ne fait pas partie de la délégation officielle. Mais, comme à l’accoutumée, l’ambassadrice de Tunisie à Washington sera aussi présente aux rencontres avec les délégations du FMI et de la Banque mondiale.
Constat 3– la délégation est ainsi atypique, mais plutôt renforcée pour signifier au FMI l’importance des accords attendus avec le FMI, pour une Tunisie à la peine de ses graves déficits budgétaires et à quelques mois des échéances des élections présidentielles. A l’évidence, la ministre des Finances ne sera pas présente en personne dans ces négociations difficiles.
Trois questions se posent donc:
Question 1: le représentant officiel de la Tunisie au sein du FMI reste le nouveau gouverneur de la BCT, Dr Fethi Nouri, mais celui-ci risque-t-il de céder dans le contexte sa place au Premier ministre, représenté par sa cheffe de cabinet en personne? Une question de confiance ou de compétence serait posée dans cette dualité des responsabilités.
Question 2: la constitution atypique de la délégation tunisienne en dit long sur l’importance des enjeux et attentes de la Tunisie de Kaïs Saïed pour un accord urgent avec le FMI. Ça passe ou ça casse? Mais on anticipe des dérapages contrôlés, des déclarations de «performance» pour rassurer l’opinion publique et impressionner l’électorat tunisien, plutôt hostile aux institutions du Bretton Wood. Il y aura un risque d’opacité et d’asymétrie de l’information transmise aux médias tunisiens.
Question 3: la Tunisie est désormais sur la liste noire du FMI, depuis le report sine die d’une visite planifiée depuis longtemps d’une délégation du FMI en septembre 2023, dans le cadre de l’élaboration d’un état des lieux sur les comptes publics (Article IV du FMI) et la dette publique. La présence de la cheffe de cabinet du Premier ministre tunisien est-elle motivée par une diplomatie de «rabibochage» et de réconciliation? Histoire de convenir d’une rencontre à venir avec un agenda précis et sensible à l’agenda électoral du président Kaïs Saïed. Ce qui est certain c’est que le téléphone va fonctionner à plein régime entre les membres de la délégation et la Kasbah, durant les 5 jours des rencontres.
Ce qui est certain aussi, c’est que la Tunisie a besoin, et impérativement, d’un accord de financement avec le FMI. Mais cela ne peut se faire sans adoption des principales réformes requises par le FMI, au sujet de la vérité des prix, de la restructuration des sociétés d’Etat et de l’allègement des effectifs de la fonction publique.
La partie est jouable pour l’équipe tunisienne! La Tunisie a besoin de s’en sortir du marasme économique dans lequel elle est plongée depuis quelques années déjà!
Les médias tunisiens brillent par leur absence, ils ont choisis de ne pas être du voyage à Washington, pour couvrir les activités et négociations… et tenir les Tunisiens informés des véritables enjeux.
Blog de l’auteur : Economics for Tunisia, E4T.
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