Proposition d’un label «Tourisme durable» pour les maisons d’hôte en Tunisie (1)

Le tourisme de masse en Tunisie a apporté des avantages économiques considérables mais aussi des impacts négatifs sur l’environnement et les communautés locales. En réponse, le tourisme alternatif, tel que les maisons d’hôte, émerge comme une solution durable. L’étude des labels de tourisme durable à travers le monde offre des insights précieux pour structurer un label adapté à la réalité tunisienne, qui pourrait non seulement promouvoir des pratiques responsables mais aussi renforcer la compétitivité et les bénéfices socio-économiques du secteur touristique tunisien.

Tarek Kaouache *

Le tourisme de masse, prédominant en Tunisie depuis les années 1960, présente un bilan contrasté sur les plans économique, social et environnemental. Bien que générateur de revenus et d’emplois, ce modèle de tourisme a souvent conduit à des impacts négatifs, notamment la dégradation de l’environnement, la surcharge des infrastructures et une répartition inéquitable des bénéfices économiques.

En parallèle, un intérêt croissant se manifeste, depuis quelques années, pour le tourisme alternatif, plus respectueux des communautés locales et de l’environnement, illustré par l’émergence des maisons d’hôte.

Ces dernières années, plusieurs autres formes de tourisme alternatif ont également vu le jour en Tunisie, reflétant une volonté de diversifier l’offre touristique et de répondre à une demande de plus en plus consciente des enjeux d’un développement durable.

Cette tribune explore l’opportunité de créer un label «Tourisme durable» pour ces établissements, visant à structurer et à promouvoir ce secteur en Tunisie.

Les méfaits du tourisme conventionnel

Depuis les années 1960, le tourisme en Tunisie s’est principalement orienté vers un modèle de masse. Selon les statistiques, ce secteur contribue significativement au PIB national et à l’emploi. En 2019, il a contribué à environ 14% du PIB national, selon les données de l’Institut national de la statistique (INS). Cette année-là, la Tunisie a accueilli près de 9,4 millions de visiteurs, générant des revenus de plus de 5,6 milliards de dinars tunisiens.

En termes d’emploi, ce secteur représente une source majeure de travail pour la population. Environ 400 000 emplois directs et indirects y sont liés, couvrant une large gamme d’activités allant de l’hôtellerie à la restauration en passant par les services de transport et de guidage. Cependant, les bénéfices de ce modèle de tourisme sont souvent contrebalancés par des impacts négatifs, tels que, sur le plan économique :

– une distribution inégale des revenus touristiques : les profits générés par le tourisme de masse bénéficient principalement aux grandes entreprises et aux investisseurs étrangers, laissant les communautés locales et les petites entreprises en marge des retombées économiques;

– une dépendance économique à un seul secteur économique rendant l’économie locale vulnérable aux fluctuations du marché touristique international;

– un coût élevé des infrastructures : les investissements nécessaires pour construire et maintenir les infrastructures touristiques peuvent détourner des fonds publics des autres besoins essentiels de la communauté, tels que l’éducation et la santé;

Les impacts négatifs du tourisme de masse sur le plan social sont :

– une pression sur les infrastructures locales : les zones touristiques souffrent souvent de surpopulation saisonnière, mettant à rude épreuve les systèmes locaux de gestion des déchets, les ressources en eau et les réseaux de transport;

– un changement des modes de vie : le contact avec des cultures différentes peut parfois entraîner des changements dans les modes de vie et les valeurs des communautés locales, parfois au détriment de leur patrimoine culturel;

– des inégalités sociales : le développement touristique peut exacerber les inégalités sociales, avec des zones touristiques prospères contrastant fortement avec celles non-touristiques délaissées.

Ces défis soulignent la nécessité de diversifier et de réorienter le modèle touristique tunisien vers des pratiques plus durables et inclusives.

Émergence du tourisme alternatif

En réponse aux limites du tourisme de masse, le tourisme alternatif, et particulièrement les maisons d’hôte, gagnent en popularité. Ces structures offrent une expérience authentique et personnalisée, en lien direct avec les communautés locales et respectueuses de l’environnement. Cette formuledemaisons d’hôte présente les avantages suivants, sur le plan économique :

– un soutien aux économies locales : les maisons d’hôte achètent souvent des produits et des services auprès de fournisseurs locaux, ce qui stimule l’économie régionale;

– une création d’emplois : ces établissements génèrent des emplois pour les résidents locaux, réduisant ainsi le taux de chômage et améliorant le niveau de vie;

– un développement des compétences : les maisons d’hôte forment le personnel local aux standards de l’hospitalité et de la gestion d’entreprise;

Les avantages des maisons d’hôte sur le plan social sont :

– la préservation du patrimoine culturel en offrant des expériences authentiques, ces établissements aident à préserver et à valoriser les traditions, les arts et l’artisanat locaux;

– le renforcement des liens communautaires  en favorisent des interactions positives entre les visiteurs et les communautés locales, et en consolidant ainsi la cohésion sociale;

– la promotion de la culture locale en promouvant la culture locale à travers la cuisine, les festivals et les activités culturelles, permettant ainsi aux visiteurs de découvrir et d’apprécier le patrimoine de la région.

Les avantages des maisons d’hôte sur le plan environnemental sont :

– la réduction de l’impact environnemental, les maisons d’hôte adoptant souvent des pratiques écologiques, telles que l’utilisation d’énergies renouvelables, la gestion des déchets et l’économie d’eau;

– l’encouragement des pratiques durables en promouvant des comportements respectueux de l’environnement parmi les visiteurs, comme le recyclage et l’utilisation de produits locaux;

– la protection de la biodiversité en sensibilisant les clients des maisons d’hôte, souvent situées en pleine nature, à la préservation de la faune et de la flore locales et au soutien des projets de conservation.

Ces avantages économiques, sociaux et environnementaux font des maisons d’hôte une alternative précieuse au modèle de tourisme de masse, contribuant à un développement touristique plus durable et inclusif en Tunisie.

Opportunités et défis du tourisme durable

Les maisons d’hôte, bien que prometteuses, sont confrontées à des défis liés à leur petite taille, tels que la visibilité et la communication ainsi que le développement incontrôlé de ce nouveau mode d’accueil.

«Si l’on se réfère aux chiffres avancés par la Fi2T, ce sont aujourd’hui entre 700 à 1000 maisons d’hôtes opérationnelles en Tunisie. Moins de 10% sont parfaitement en règle. Et si l’on compte également les meublés proposés à la location sur les plates-formes en ligne (booking et Airbnb notamment), le chiffre de 1800 établissements peut être allègrement atteint. »

La création d’un label «Tourisme durable» pourrait pallier ces limitations en fournissant un cadre de référence et de certification reconnu, tout en intégrant les principes de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Les prochains articles de la série:

Cette tribune se propose de détailler, dans les prochaines parties, un projet pilote pour le développement d’un label «Tourisme durable» spécifique aux maisons d’hôte en Tunisie. Le but est d’encourager les organisations de la société civile à adopter et à mettre en œuvre ce projet. Les parties suivantes exploreront les différentes facettes nécessaires à l’élaboration, à l’implantation et à la gestion du label, en tenant compte des meilleures pratiques internationales et des réalités locales.

La partie 1/7 présentera une étude de benchmarking des principaux labels de tourisme durable dans le monde et en Tunisie. Elle analysera les critères de certification, les structures de gouvernance et les impacts mesurés des principaux labels de tourisme durable dans le monde et examinera les différentes tentatives précédentes en Tunisie et les causes de leur manque de succès, permettant ainsi d’identifier les meilleures pratiques et d’évaluer leur applicabilité au contexte tunisien.

La partie 2/7 présentera les éléments constitutifs d’un label de développement durable.  Elle se concentrera sur les composantes essentielles du label, telles que le cahier des charges, le système de garantie… et l’utilité d’intégrer les Objectifs de Développement Durable (ODD), l’application de la norme ISO 19011 pour les systèmes de garantie, et la conformité avec les recommandations de l’Iseal (International social and environmental accreditation and  lanlelling alliance), pour assurer la crédibilité et l’efficacité du label.

La partie 3/7 étudiera  l’implication des parties prenantes  : description de l’importance de l’identification des différentes parties prenantes et des acteurs clés, les stratégies pour les engager activement dans le processus de développement, d’implantation et de gestion du label, ainsi que les mécanismes de collaboration et de partenariats pour renforcer l’adhésion et la mise en œuvre du label.

La partie 4/7 analysera la place de l’ESS dans la gouvernance du label. Elle mettra en avant l’importance de l’Economie sociale et solidaire (ESS), en particulier les sociétés communautaires locales et régionales dans la gouvernance du label. Et expliquera comment une structure de gouvernance inclusive et équitable peut être mise en place, ainsi que les bénéfices attendus pour les communautés locales et l’environnement.

La partie 5/7 soulignera l’importance de la communication, notamment la nécessité d’une stratégie de communication efficace pour sensibiliser et éduquer les acteurs du tourisme et le grand public sur les avantages du label. Elle couvrira également les approches de marketing et de promotion, ainsi que les méthodes de suivi et d’évaluation des efforts de communication.

La partie 6/7 présentera des mécanismes d’évaluation pour mesurer régulièrement l’efficacité du label et son impact sur le tourisme durable, les communautés locales et l’environnement. Elle inclura des processus pour recueillir les retours d’expérience et adapter continuellement les critères et les pratiques du label en fonction des résultats obtenus.

La partie 7/7 proposera une démarche pour le développement et l’implantation d’un label «Tourisme durable pour maisons d’hôte» en Tunisie.  Elle exposera la méthodologie proposée par l’auteur pour créer, implanter et pérenniser ledit label en Tunisie, incluant une phase de consultation avec les parties prenantes, l’élaboration des critères spécifiques et le lancement de projets pilotes pour tester et affiner le label.

La partie finale récapitulera les points clés de la tribune et formulera des recommandations pratiques pour la mise en œuvre du projet. Elle proposera des étapes concrètes pour développer et implanter le label, renforçant ainsi la durabilité et les bénéfices du tourisme pour toutes les parties prenantes en Tunisie.

* Formateur et consultant indépendant en économie sociale et solidaire, commerce équitable et développement durable.