Les ministères de l’Enseignement supérieur et des Affaires étrangères ont-t-il pensé un jour réaliser une étude conjointe sur l’évolution de nos lauréats au baccalauréat ayant choisi de faire leurs études supérieures dans les grandes écoles en Europe et aux États-Unis d’Amérique? Si oui, qu’ils en communiquent les résultats et les conclusions à l’opinion publique car si la question intéresse au premier chef ces élèves et leurs parents, elle interpelle également la nation tout entière.
Raouf Chatty *
Cet exode des lauréats du baccalauréat en Tunisie vers les grandes universités occidentales a débuté dans les années soixante-dix du siècle dernier. Mais il s’est intensifié dans les années 1990. Malheureusement, personne n’a idée de la situation actuelle de ces Tunisiens qui ont réussi brillamment au baccalauréat et choisi de quitter la Tunisie pour faire leurs études supérieures à l’étranger. Ils sont des centaines chaque année à prendre le chemin d’un départ souvent définitif.
Au moment de la proclamation des résultats du baccalauréat, les médias mettent ces brillants élèves au pinacle, le temps de deux ou trois semaines, ensuite ils les oublient et on n’en n’entend plus parler. Beaucoup d’entre eux partent à l’étranger, rejoignent souvent de grandes écoles et des universités mondialement connues et perdent tout contact avec leurs camarades et professeurs en Tunisie. La plupart choisissent de s’installer dans les pays occidentaux, souvent aux dépens de la Tunisie qui manque cruellement de compétences dans certaines spécialités pointues!
Certes, la question relève du domaine privé des principaux intéressés. Mais il faut être conscient du fait que ces jeunes ayant entre dix huit et vingt ans, au moment de leurs choix de s’expatrier, prennent souvent ce genre de décision, sans trop réfléchir sur les conséquences à moyen et long termes de leurs décision sur leur avenir personnel et professionnel, tout comme sur l’intérêt supérieur de leur patrie; même si la grande majorité d’entre eux y restent très attachés sur le plan personnel.
Ces décisions sont certes de nature individuelle, il n’en demeure pas moins qu’elles impactent très sérieusement l’avenir de ces jeunes et, par ricochet, celui de leur pays. Ce dont témoigne le manque cruel de médecins spécialistes dans nos hôpitaux publics, alors que des médecins ayant effectué leur spécialisation dans ces mêmes hôpitaux quittent le pays par centaines chaque année pour aller opérer en France ou en Allemagne.
Pour la Tunisie, le départ de ces brillants étudiants est une grosse perte et un appauvrissement pour l’économie. D’autant plus que la plupart des partants décident de rester à l’étranger au terme de leur brillant cursus universitaire.
Avons-nous des statistiques sur ces élèves, sur leurs positions à l’étranger, sur les résultats universitaires qu’ils avaient obtenus, sur les entreprises où ils exercent actuellement, sur les éventuels rapports qu’ils entretiennent encore avec la Tunisie et sur leurs éventuelles contributions à son développement? Ou constituent-ils une richesse ignorée, négligée, dilapidée et perdue à jamais?
La question relève en partie de la diplomatie économique. Et elle mérite d’être étudiée hors ses sentiers battus, et sans la langue de bois chère à nos responsables publics, toujours prompts à souligner l’aspect positif des choses.
* Ancien ambassadeur.