Keir Starmer, l’atypique nouveau Premier ministre britannique

Après plus de 14 ans au pouvoir, les conservateurs britanniques ont subi une défaite cuisante laissant la place à une nouvelle alternance. Le nouveau dirigeant britannique, qui vient de débarquer au 10 Downing Street, Keir Starmer a mené son parti à la victoire lors des élections générales pour la quatrième fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est l’antithèse de son prédécesseur à la tête du Labour Jeremy Corbyn, connu pour être très à gauche et pro-palestinien. 

Imed Bahri

En prenant la tête de son parti en 2019, Starmer a opéré un changement radical dans la politique travailliste en tenant à la recentrer, à rassurer le monde des affaires. Il a, en même temps, entamé une purge au sein du parti allant jusqu’à exclure Corbyn et a fait preuve d’un soutien infaillible à Israël depuis le 7 octobre.

Il ne faut pas se faire d’illusion, l’atlantisme et le soutien à Israël sont dans l’ADN de la politique étrangère britannique. Le changement concernera la politique intérieure et non pas la politique étrangère. C’est plus une gauche pro-américaine et business friendly à la Tony Blair qu’autre chose. 

Dans une analyse du New York Times, Stephen Castle et Mark Landler ont écrit que Starmer souffrait de problèmes de performances en dépit de la victoire écrasante contre les conservateurs (410 sièges pour le Labour contre 130 pour les Tories). L’homme de 61 ans, qui est entré sur le tard en politique, il y a seulement neuf ans, n’est ni un tribun ni une bête politique mais il a su d’abord prendre la tête du parti travailliste puis accéder au pouvoir alors que le Labour était aux abois il y a seulement quelques années. 

Les auteurs de l’article ont évoqué une rencontre qui a eu lieu la semaine dernière lors de la campagne électorale: «Keir Starmer, le chef du Parti travailliste britannique, a hoché la tête avec sympathie alors qu’une jeune mère se rappelait, en termes poignants, comment elle avait regardé des images télévisées en circuit fermé de l’assassinat de son fils de 21 ans dont le cœur était transpercé par un seul coup. ‘‘Merci pour cela’’, a déclaré M. Starmer, sombre, à la femme et aux autres proches des victimes d’attaques au couteau alors qu’ils se tenaient autour d’une table en bois la semaine dernière pour discuter des moyens de lutter contre les crimes violents. ‘‘C’est vraiment, vraiment puissant.’’»

Plus procureur qu’homme politique

Ce n’était pas l’événement de campagne le plus réconfortant pour un candidat la semaine précédant une élection que son parti d’opposition est largement censé remporter. Mais c’était tout à fait dans le caractère de M. Starmer, un ancien avocat des droits de l’homme de 61 ans qui se comporte toujours moins comme un homme politique que comme un procureur qui intente une action.

Sérieux, intense, pratique et dépourvu de charisme, M. Starmer accède au pouvoir sans les traits de célébrité et de leadership qui distinguaient les précédents dirigeants britanniques que ce soit Margaret Thatcher, la championne du libre marché des années 1980, ou Tony Blair, l’avatar de «Cool Britannia». Cependant, il a réalisé un exploit : moins d’une décennie après son entrée au Parlement et moins de cinq ans après que le Parti travailliste ait subi ses pires pertes depuis les années 1930, il a remodelé le parti avec une férocité sans précédent et l’a transformé en un parti que les électeurs pouvaient choisir. Il a poussé le parti au centre et a exploité l’échec de trois premiers ministres britanniques successifs.

Samedi dernier, Starmer a déclaré à propos des conservateurs: «N’oubliez pas ce qu’ils ont fait… n’oubliez pas le scandale du parti… n’oubliez pas les contrats Covid, n’oubliez pas les mensonges, n’oubliez pas les pots-de-vin.» C’est un moment rare qui a suscité l’enthousiasme du public mais il fait partie de l’énigme Starmer.

Bien que son parti ait gagné avec un pourcentage élevé, Starmer n’est pas populaire dans le pays car les électeurs ont du mal à aimer un homme qui semble plus à l’aise dans une salle d’audience qu’en tant que politicien accompli. «Il n’a pas le côté performatif de la politique», a déclaré l’ancien conseiller travailliste Tom Baldwin. Alors que d’autres politiciens poussent jusqu’à la rhétorique, Starmer se retrouve davantage dans le discours pratique, résolvant des problèmes et construisant brique sur brique. «Personne ne veut regarder ça, c’est ennuyeux, dit Baldwin, mais nous pourrions découvrir à la fin qu’il a construit une maison.»

Une discipline ennuyeuse

Jill Rutter, fonctionnaire et membre du groupe Change Europe, déclare: «Il s’est efforcé de maintenir sa discipline ennuyeuse mais il ne fait pas battre le cœur plus vite et il ressemble relativement à un Premier ministre.»

Starmer est né dans une famille ouvrière du Surrey, à l’extérieur de Londres, et n’avait pas de bonnes relations avec son père outilleur. Tandis que sa mère, infirmière, souffrait d’une maladie qui lui a valu d’être admise et sortie de l’hôpital à plusieurs reprises. Il fut le premier de sa famille à étudier d’abord à l’Université de Leeds puis le droit à l’Université d’Oxford. Ses parents l’ont nommé Keir en hommage au syndicaliste écossais Keir Hardie, le premier leader travailliste. Il a admis plus tard qu’il aurait aimé s’appeler Dave ou Pete au lieu de Keir.

En tant que jeune avocat, Starmer a représenté des manifestants dans une affaire contre la chaîne de fast food McDonald’s et a gravi les échelons de la profession juridique pour devenir procureur et a été anobli en recevant le titre de Sir. Lorsqu’il se lance en politique, il emporte avec lui les habitudes qu’il a acquises dans les prétoires. L’ancien Premier ministre Boris Johnson avec qui il a eu des confrontations et des débats à la Chambre des communes l’a qualifié de «Capitaine Crusherone Snowfast», une expression qui n’a de sens que d’insulte.

Bien que Starmer n’ait pas rivalisé avec Johnson avec ses discours rhétoriques, il a utilisé son expertise juridique pour l’attaquer en dénonçant notamment ses mensonges. Mais les concessions de Starmer ont soulevé un certain nombre de questions car il travaillait avec Jeremy Corbyn et prenait en charge le dossier politique du Brexit à un moment où de nombreux membres du camp centriste du parti refusaient de travailler avec Corbyn.

Starmer s’est positionné pour succéder à Corbyn, qui a démissionné en 2019, et a inclus dans son programme suffisamment de politiques de Corbyn pour satisfaire la gauche fidèle à l’ancien dirigeant. Sauf qu’une fois à la tête du parti, il a adopté des politiques qui ont éloigné le parti de la gauche abandonnant les programmes de Corbyn visant à nationaliser l’industrie énergétique britannique et promettant de ne pas augmenter les impôts de la classe ouvrière et soutenant les forces armées dans l’espoir d’éliminer l’accusation de déloyauté du parti qui avait accompagné les années Corbyn.

Il a ensuite fait campagne contre l’antisémitisme au sein du parti, exclu Corbyn, révélant ainsi un côté féroce et a même interdit à Corbyn de se présenter sous la bannière travailliste. Mais cela n’a pas empêché Corbyn de remporter la victoire en tant qu’indépendant dans la circonscription d’Islington. Le groupe de Starmer contrôlait qui devait être investi pour les élections et a écarté le camp de gauche.

Starmer connaît ses limites d’orateur. Gillian Keegan, la secrétaire à l’Éducation sortante, a déclaré ironique: «Comment Starmer excite-t-il la salle? Il la quitte.» Il n’est peut-être pas séduisant, mais un «tueur» n’a pas à l’être.