Georges-Emmanuel Clancier est poète et romancier. L’une des voix majeures de la poésie française. Sa poésie, chant de la terre, est labour de la mémoire, dans son histoire intime, comme dans sa douleur collective.
Né en 1914 à Limoges, sa poésie ontologique va à l’essentiel, attentive aux éléments, sans concession ni complaisance.
L’homme, réputé pour une mémoire personnelle exceptionnelle, décède en 2018, à l’âge de 104 ans, laissant une œuvre importante, narrative et poétique traduite dans plusieurs langues.
Tahar Bekri
Déchirez-vous présence ! Approchez de ma vie
Foule que l’air soudain lance au fond des nuits,
Un silence vous prend dans sa lande hivernale
Et vous êtes courbés sous l’ombre vers mes rêves
Vous que j’aime, mes fils blessés par les prairies.
Venez. Les herbes des années qui les déchire
Ma voix, que follement à l’horizon la terre
Se dénude et que soit transparente la chair.
Venez peuple égaré sous votre temps désert.
Je vous tiens étrangers contre mon seul regard,
Je redonne à l’aveu que vous jetiez en vain
L’ineffable chaleur de sang et du hasard,
Et vous mourez au feu patient de l’éternel.
Les frontières, pour nous fiévreux du blanc soleil
D’abîme, les empreintes fondent à nos ombres,
Et nous, enfants trouvés délivrés en plein ciel,
Nous les fiers vagabonds au front d’un autre monde
Nous allons creuser les joies de notre orgueil.
‘‘Terres de mémoire’’, Robert Laffont, 1965. La table ronde, 2003.