Tunisie : les gouvernements se suivent et se ressemblent

Après avoir nommé, il y a deux semaines un nouveau Premier ministre, Kamel Maddouri, Kaïs Saïed a procédé, hier, dimanche 25 août 2024, à un vaste remaniement ministériel qui a touché près de 80% du gouvernement. Que peut-on en attendre, en penser ou, plutôt, en dire, sans faire grincer quelques dents ?

Ridha Kefi

Il y a d’abord le timing pour le moins surprenant, car ce remaniement intervient à quelques semaines d’une élection présidentielle à laquelle le président sortant est lui-même candidat. Or, la tradition républicaine veut qu’un président de la république change de gouvernement après sa réélection, et non avant, et ce pour entamer une nouvelle mandature avec une nouvelle équipe. Qu’a voulu nous dire le président en opérant ce changement? Qu’il considère la prochaine élection comme une simple formalité, et que sa réélection est déjà acquise? Cela, on ne le sait que trop, au vu des forces en présence, mais n’aurait-il pas été plus judicieux de ne pas le dire ne fut-ce que pour préserver les apparences?  

Des technocrates sans vision politique

Pour ce qui concerne la nouvelle équipe, il y a si peu à dire, les nouveaux promus étant pour leur écrasante majorité des technocrates commis de l’Etat méconnus hors des cercles de leurs spécialités respectives, à l’instar du nouveau chef du gouvernement qui va conduire le nouvel attelage. Mais si pour certains postes, il s’est agi de remplir un vide – leurs anciens détenteurs ayant été entretemps remerciés –, et c’est le cas pour le Transport, les Affaires culturelles ou encore les Affaires sociales, pour d’autre en revanche, on peut penser que les anciens détenteurs n’ont pas donné satisfaction, puisque leur mandat n’aura pas fait long feu, et c’est le cas de la très controversée ex-ministre de l’Education, qui ne laissera pas de souvenirs impérissables, ou encore l’ex-ministre de l’Agriculture qui a eu à gérer – sans beaucoup de succès il est vrai – des dossiers parmi les plus brûlants de ces dernières années, à savoir ceux du manque d’eau (ou stress hydrique) et de la santé animale.

Cependant, et tout en étant un grand «consommateur» de ministres et de secrétaires d’Etat – il en a nommés plusieurs dizaines en cinq ans –, Kaïs Saïed a maintenu deux ou trois ministres qu’il considère comme indispensables à la mise en œuvre de son projet politique, sur les plans politique et économique. Il s’agit des inamovibles ministres de la Justice, Leila Jaffel, des Finances Sihem Nemsia Boughdiri, et, à un degré moindre, de l’Equipement et de l’Habitat, Sarra Zaâfrani Zenzeri, toutes maintenues à leurs postes respectifs. C’est à croire qu’elles ont donné satisfaction au chef de l’Etat même si elles font l’objet de critiques au sein de l’opinion et des départements dont elles ont la charge.    

Les chances de succès

Quoi qu’il en soit, que peut-on sérieusement attendre d’un cabinet nommé entre deux mandats : un qui touche à sa fin et un autre qui approche à grand pas? La réussite de ce cabinet dépend de trois facteurs :

– elle dépend d’abord de la mission que lui attribue le chef de l’Etat, et dont on aimerait savoir un peu plus, si ce dernier daigne nous en dire un mot, n’est-on pas tous embarqués avec lui dans le même bateau qui tangue dangereusement?;     

– elle dépend ensuite de la capacité du Premier ministre à créer une synergie au sein d’un attelage hétérogène qui lui a été «imposé», et c’est le cas de le dire puisqu’il n’a pas choisi lui-même ses futurs collaborateurs qui n’auront finalement pas de compte à lui rendre, et ne seront redevables du résultat de leur action que devant le président de la république, qui les a nommés, et le seul à pouvoir les limoger;    

– elle dépend enfin de la capacité de chaque ministre à prendre à bras-le-corps sa mission et à laisser son empreinte dans le département dont il a aujourd’hui la responsabilité, et là, on ne se fait pas d’illusion, tant la situation semble compliquée et difficile dans tous les secteurs, et l’administration publique dépassée par l’ampleur de la tâche, sinon attentiste et parfois même réfractaire à tout changement qui affecterait ses privilèges acquis. Et puis, les changements, c’est-à-dire les réformes douloureuses, ce ne sont certainement pas des fonctionnaires sans vision ni poids politique qui vont pouvoir les imprimer.

Les fonctionnaires, on le sait, rechignent à prendre des initiatives dont ils seraient comptables des résultats, ils préfèrent attendre des instructions et prennent trop de temps et de précautions pour daigner enfin les mettre en œuvre. Ce qui, on l’imagine, alourdit énormément la machine. Et dans l’atmosphère de suspicion généralisée qui règne actuellement dans le pays, on peut aussi imaginer qu’ils seraient encore plus prudents et plus suspicieux.

Alors, souhaitons-leur bon vent, en espérant qu’ils n’auront pas à gérer des tempêtes dans leurs secteurs respectifs.