Présidentielle tunisienne : sens et incidences du revirement imposé par le tribunal administratif

Malgré l’importance des derniers verdicts du tribunal administratif invalidant certaines décisions de la commission électorale et remettant certains candidats dans la course à la prochaine présidentielle en Tunisie, personne ne pourra prédire la suite du processus électoral et ne saura en identifier les tenants et aboutissants. Le mystère reste total…

Mohamed Chérif Ferjani *

Après un processus de verrouillage implacable et arbitraire de la participation politique et d’exclusion qui n’a épargné aucune famille politique, auquel l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) et la justice ont collaboré sans vergogne, à quelque 40 jours des élections présidentielles prévues pour le 6 octobre 2024 – sans détermination de la date du second tour, comme si l’on savait d’avance qu’il n’y en aurait pas ! –, la justice administrative a surpris tout le monde en acceptant les recours de trois candidats et en déclarant, à raison du point de vue du droit, contrairement à ce que prétendait l’Isie, que ses jugements sont définitifs et ne supportent aucun recours supplémentaire.

Entre acceptation et rejet

Comment interpréter ce revirement soudain? Car, nous avons là un revirement de la part de la juridiction administrative dont le silence au sujet de questions relevant de ses compétences était, jusqu’ici, assourdissant. Quelles incidences aura-t-il sur des élections boudées, non sans raisons, par la plupart des partis politiques et pas seulement dont les chefs sont emprisonnés depuis plus d’un an, avec ou sans jugements? Comment expliquer l’acceptation de certains recours – de l’ancien dirigeant islamiste Abdelatif Mekki, de l’ancien ministre de Ben Ali Mondher Zenaïdi, de l’ancien proche conseiller de l’ex-président Moncef Marzouki, Imed Daïmi – et le rejet d’autres – comme celui de l’ancien ministre de Beji Caid Essebsi, Neji Jalloul, et de la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi –, sans parler du rejet de dizaines de candidatures par l’Isie; rejet confirmé par le tribunal administratif et qui n’a pas donné suite à des recours?

Sans réponses claires et crédibles à ces questions, et malgré l’importance des dernières décisions de la juridiction administrative, le mystère reste entier et personne ne pourra prédire la suite du processus électoral et ne saura en identifier les tenants et aboutissants, les facteurs déterminants. Autrement dit, qui a imposé ce revirement et qui en tire les ficelles ?

Une nouvelle donne

Cette nouvelle donne  va-t-elle impacter les résultats? Comment vont se positionner les forces qui avaient des raisons, avant ce revirement, de boycotter le processus électoral? Vont-elles regretter leur choix ou persister dans le boycott des élections? Vont-elles se ranger derrière tel candidat ou tel autre, parce qu’elles s’en sentent proches ou simplement parce qu’elles pensent qu’il est le mieux placé pour battre Kaïs Saïed et sortir le pays de l’impasse à laquelle a conduit le processus du 25 juillet 2021? Leur choix sera-t-il déterminé par la volonté de retour à la situation d’avant 2021, ou même d’avant 2010, ou par la volonté de rompre avec la situation présente sans nostalgie de ce qui prévalait du temps de l’hégémonie des islamistes ou du temps de Ben Ali? 

Telles sont les questions que suggère le revirement que représentent les dernières décision du tribunal administratif et auxquelles doivent répondre les forces qui veulent diriger, celles qui participent, directement ou indirectement, aux élections d’octobre 2024 et celles qui persistent dans le choix de les boycotter.

* Professeur honoraire de l’Université Lyon2.

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