Deux visions de l’Amérique se sont affrontées lors du premier débat avant-hier, mardi 10 septembre 2024, entre la candidate démocrate Kamala Harris et le candidat républicain Donald Trump. Harris a présenté une vision optimiste et rassurante de l’avenir quand Trump indiquait un avenir sombre avec le danger existentiel que représentent les migrants qu’il n’a cessé de déshumaniser et de diaboliser.
Imed Bahri
Ce sont aussi deux personnalités qui se sont affrontées. L’ancienne procureure de Californie était coriace, confiante et souriante quand le sulfureux promoteur immobilier de Manhattan s’est montré arrogant et hautain comme à son accoutumé en détournant sciemment le regard de son adversaire comme si elle n’était pas là. Fidèle à sa réputation de mythomane, il n’a pas manqué d’arroser le débat avec des rafales de mensonges et d’intox parfois d’un rare ridicule. Habitué à être offensif, cette posture lui a été ravie par Harris cette fois-ci.
Le Washington Post a décrit le premier débat entre Harris et Trump comme une illustration de la manière dont la campagne électorale de la démocrate se déroule face à son adversaire républicain. Le journal a constaté que la vice-présidente sortait vainqueur du débat que ce soit sur la forme ou sur le fond.
Dans son article de son comité éditorial analysant le débat, le WP indique que les deux candidats sont montés sur scène avec des désirs contradictoires. Harris voulait se présenter à l’électeur américain sa personnalité, son bilan, son importance et sa vision. Quant à Trump, il devait cacher les mêmes choses qui le préoccupaient. Un seul des débatteurs a réussi.
Pour sa part, Harris a présenté une vision positive de la nation en dépit de ses défauts, mais de manière saine puisqu’elle a appelé ses compatriotes à éviter les maux qui ont influencé les politiques récentes du pays. En revanche, Trump a décrit les États-Unis comme une «nation en faillite se dirigeant vers l’abîme de la Troisième Guerre mondiale», où la criminalité augmente et où les migrants s’emparent violemment des petites villes et mangent les animaux de compagnie des bons américains blancs.
Vision positive contre vision négative
L’essence de ce qu’il a dit dégage une image sombre du pays, expression d’un ego gonflé et complètement contradictoire avec la vision positive de Harris. Il est vrai que tout ce que la démocrate a proposé dans le débat n’était pas logique mais elle a réussi à vaincre son adversaire en expliquant pourquoi sa politique est la pire. Cette politique doublera les droits de douane, ce qui augmentera les taux d’inflation sur tous les types de biens achetés par les consommateurs américains.
L’opposition de Harris à cet élément central du plan économique de Trump incite donc à l’optimisme. Son idée à elle est de réduire les prix des maisons et d’augmenter leur disponibilité grâce à une coopération avec des entreprises privées qui les construiraient. Elle a évoqué cette idée comme la seule solution à long terme face à la flambée des prix de l’immobilier et l’a répétée trois fois mardi soir à un moment où Trump ne présentait aucun plan réaliste en matière de logement alors que c’est l’un ses principaux problèmes auxquels sont confrontés les Américains.
Le journal a constaté que Harris était à l’aise pour parler de sujets tels que l’avortement car elle ajoutait du contenu et de l’humanité à ses réponses aux questions en particulier lorsqu’elle parlait des jeunes survivantes de l’inceste et des femmes qui font des fausses couches saignant dans les parkings sans pouvoir aller à l’hôpital.
Elle a adopté une position modérée sur la question de l’immigration promouvant au Sénat un projet de loi bipartite qui renforcerait la sécurité aux frontières si Trump ne mobilisait pas ses alliés du Parti républicain au Sénat pour le faire capoter.
Mais le journal a noté que les propos de Harris sur la guerre en cours à Gaza étaient prudents, même si elle s’est engagée à se tenir aux côtés de l’Ukraine contre la Russie et a défendu le rôle traditionnel joué par les États-Unis dans le monde libre. Elle lui a lancé que s’il était au pouvoir, Vladimir Poutine serait déjà assis à Kiev et aurait déjà les yeux rivés sur les pays européens et en premier lieu desquels la Pologne. Elle a d’ailleurs provoqué Trump en lui disant de parler de sa politique concernant la Pologne et l’Europe à la communauté des 800 000 Américains d’origine polonaise qui vivent à Philadelphie, lieu où s’est d’ailleurs tenu le débat entre les deux candidats.
Les dictateurs apprécient Trump
Trump estime que les Européens doivent payer pour leur défense sinon il les laisserait tomber. Quant à James David Vance (dit J. D. Vance), son colistier pour la vice-présidence, il avait déclaré qu’«il s’en foutait de l’Ukraine».
Harris a aussi a été percutante en affirmant que les dictateurs du monde appréciaient Trump car ils le manipulent par la flatterie.
En revanche, Trump s’est vanté du soutien de l’homme fort de la Hongrie, le Premier ministre Viktor Orban, un soutien que personne ne veut afficher, compte tenu des positions autoritaires d’Orban. Il a aussi déclaré que Harris détestait Israël et que si elle était élu, l’État hébreu disparaîtrait dans deux ans. Par là, il essayait de se présenter comme le garant de la pérennité d’Israël.
Le Washington Post indique que Trump a su se contrôler jusqu’au premier tiers du débat. Il a fait valoir plusieurs bons points concernant sa réponse au Covid-19 mais ces points étaient constamment assortis de demi-vérités.
Il a réitéré le même message au sujet de l’avortement où il a souligné que son interdiction devait comporter des exceptions, comme l’inceste, le viol, et afin de protéger la vie de la mère, cependant son colistier Vance considère que l’avortement ne doit connaître aucune exception même en cas d’inceste ou de viol.
Après la fin du premier tiers du débat, les fausses accusations et les intox ont commencé à affluer comme «le meurtre des bébés après l’accouchement», accusation mensongère et grotesque que lui et ses partisans veulent coller à Harris ou l’annonce selon laquelle «les évadés des institutions psychiatriques d’autres pays inondaient les États-Unis».
Toutefois, ces mensonges ne sont rien en comparaison de ce qui s’est produit plus tard, lorsque l’ancien président a répondu aux critiques en avançant la théorie selon laquelle les immigrés sans papiers mangeaient les animaux de compagnie des citoyens dans les villes où ils s’étaient réfugiés. Quand l’un des deux modérateurs du débat a vérifié les faits, Trump a cité comme source «des gens à la télévision». Comble du ridicule, il a accusé Harris qui est noire de «n’avoir jamais été noire».
Il n’a pas manqué de proférer d’autres mensonges notamment en prétendant qu’il avait sauvé la loi sur les soins abordables alors qu’en fait il avait tenté de l’abroger. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait une alternative, il a répondu: «J’ai des idées pour un plan», sans en citer aucune.
Harris lui a fait mal en remettant en cause son image de dur à cuire qu’il a toujours voulu véhiculer devant l’Amérique et le monde en lui rappelant qu’il avait hérité de son père 400 millions de dollars et qu’il avait déjà fait faillite (son projet titanesque d’Atlantic City, devenu aujourd’hui ville fantôme) le présentant ainsi comme un fils à papa qui a dilapidé la fortune de son père.
Une voie cohérente vers l’avenir
Le débat de mardi restera gravé dans les mémoires pour les fréquents accès de colère de Trump, estime le WP, qui estime que les Américains devraient se rappeler ce qui s’est passé sur la scène lors de ce débat. Harris l’a remporté sur le ton et le fond. Elle a présenté quelque chose de différent non seulement de Trump mais aussi de Biden: il n’y a plus de place pour les querelles des quatre dernières années ou des quatre années d’avant, ainsi que pour la confusion, le doute et la division.
La majeure partie du discours de la démocrate s’est concentrée sur le tracé d’une voie cohérente vers l’avenir avec les valeurs fondatrices sur lesquelles repose la nation américain.