Lors des derniers meetings du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) à Washington, Dr Fethi Zouhair Ennouri a claché le FMI et sans détour, il a craché la vérité : «le FMI doit sortir de son dogmatisme et il doit mieux faire pour tenir compte de la réalité des pays pauvres et des peuples de par le monde, et de la Tunisie notamment». Mais, en même temps, des élites tunisiennes (supposément universitaires) présentes à ces rencontres délivrent une autre image et un autre discours nuisible. Une dissonance malveillante…
Moktar Lamari *
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) n’est pas allé de main morte. Il a brisé les mythes, désormais la Tunisie n’est plus le «bon élève du FMI», n’est plus l’élève naïf, «colonisé», soumis et capable de tout avaler sans broncher. Disant presque que la Tunisie n’est pas l’Egypte, n’est pas la Jordanie…
Mais, dans le sillage de ces rencontres, ces autres Tunisiens, universitaires et proxys, qui font des mains et des pieds pour une simple photo avec la gouverneure du FMI ou ses sous-fifres, Libanais ou Israéliens de service. Honte à ces «élites» et ces larbins, qui au lieu d’écrire des chroniques, préfèrent poster des photos sur facebook.
Cela donne une image d’une Tunisie aux abois, divisée et à genoux. Cela ne rend pas service à la cause tunisienne, cela n’est pas observable ou comparables, pour les délégations algériennes et marocaines présentes dans les salles de réunion de ces mêmes réunions. Leurs citoyens parlent de la même voix, sans discordes, sans double discours. La dignité prévaut sur les divisions.
Le «bon élève» qui s’insurge
Trop c’est comme pas assez. La Tunisie a payé cher l’application aveugle des diktats du FMI, depuis toujours.
Pour l’histoire, à chaque programme d’aide à la Tunisie, le FMI a exigé une dévaluation du dinar de 20%, en 1964, 1984, en 2013-2017. Pour l’histoire, avant les relations dangereuses avec le FMI et la BM, le dinar vaut quasiment 3 dollars (1963), aujourd’hui, il en faut presque 3 dinars pour un dollar.
Ces élites tunisiennes ne sont pas capables de décrire cet historique, autrement ils n’auront pas agi de la sorte.
Il y a quelques jours, Dr Nouri a délivré un beau «speech» en très peu de minutes. C’est courageux, il a dit à la gouverneure du FMI, les yeux dans les yeux, le FMI n’a rien compris des réalités des pays en émergence.
Entre les mots, il lui a confirmé que la Tunisie doit avoir son programme propre de réformes, endogènes et à vocation humaine. Ajoutant que la Tunisie est capable de concevoir ses programmes, et n’est plus, intellectuellement parlant, pauvre et démunie.
Il a corsé le ton en disant que le FMI doit faire mieux, mieux évaluer ses programmes en Tunisie, et avoir le courage de s’auto-évaluer et s’auto-administrer un programme d’ajustement structurel dans ses concepts et stratégies hégémoniques et coloniales.
Suggérant dans ses dits et non-dits qu’il faut faire le bilan des réformes imposées par le FMI à la Tunisie, qui par l’austérité, on a cassé la croissance et aggravé la situation au lieu de l’améliorer. Ce faisant, il met une croix sur une éventuelle carrière au sein du FMI, après son mandat au sein de la BCT.
Dr Ennouri a tenu un discours structuré, exceptionnel, que personne n’a vu venir. Il faut dire qu’il a été briefé par le président, quelques heures avec son décollage en direction de Washington. Et tout indique que le message tient la route, il est calibré, nuancé et intelligent. L’ambassadrice de Tunisie à Washington a joué un rôle majeur dans les formulations et ajustements diplomatiques des mots et des faits. Mais, les dissonances viennent d’ailleurs. De ces élites «frivoles» et agissant en électrons libres.
Le complexe du colonisé
Ces élites, surtout universitaires et consultantes capitalisant sur les rencontres pour se faire une aura, ont déçu. À Washington ou à Tunis. Ils ont joué une autre partition, ils ont couru bassement derrière des photos humiliantes avec l’entourage de Kristalina Georgieva et Jihad Azour, ou autres staffs qui n’ont jamais respecté la Tunisie et da la Révolution du Jasmin en 2011.
Des «sionistes» qui ont tout fait pour gommer de l’agenda de ces rencontres les massacres immondes et les purifications ethniques qu’opèrent Israël, les États-Unis et leurs alliés arabes pour gommer la Palestine de la géopolitique mondiale.
Quand on observe ces élites tunisiennes, totalement victimes du «complexe du colonisé», courir pour une vilaine photo, ou une poignée de main avec le staff du FMI et de la BM, on ne peut que déplorer le niveau de maturité et d’intelligence de ces élites présumées.
Au lieu d’écrire et de démontrer scientifiquement les méfaits des impacts des politiques du système du Bretton Woods dans les pays arabes, en Tunisie particulièrement, on voit ces élites s’aplatir et tout faire pour une photo ou un sourire. Cela ne fait pas une élite forte, respectable, digne de foi, crédible et honnête.
Dans les couloirs du FMI et de la BM, la Tunisie n’a pas parlé de la même voix. On donne l’impression que la Tunisie des élites universitaires n’est pas celle des élites gouvernementales.
Deux discours et deux personnalités. Et pas seulement. Le «bruit nocif» fait par ces pseudo-élites, dans les couloirs du FMI, doit cesser, et doit favoriser les positions et les orientations qui rendent service à la Tunisie dans son ensemble. Ces dissonances sont maléfiques, dévastatrices. Et une action publique doit pousser vers l’harmonisation et la coordination.
Kristalina Georgieva n’est plus la personne la plus fréquentable au sein du FMI, et ses heures à la tête de l’institution seraient comptées. L’ensemble des institutions de Bretton Woods sont apparues anachroniques et en décalage par rapport à ce que plusieurs pays membres souhaitaient recevoir comme aides et façons de faire.
Ces institutions sont doublement décriées. D’abord, en raison de leurs diktats et leur appel systématique au désengagement de l’Etat des services publics et les dévaluations des monnaies nationales. Ensuite par leur alignement sir les points de vue américain et israélien dans un contexte d’extermination du peuple palestinien et de massacres au Liban.
La directrice générale du FMI incarne ces dérives du FMI. Elle a été poursuivie pour plusieurs affaires de corruption et de malversations au sein de la BM (en faveur des Saoudiens, en 2016), et elle est loin d’affectionner la Tunisie et son peuple, elle est sourde à ce qui arrive aux peuples palestiniens, libanais. Business as usual.
Et quoi qu’on en dise ce système de Bretton Woods est simplement impérialiste, immonde et abjecte, quand on le regarde du point de vue de ces éternels dindons de la farce, ces pays arabes, ces vaches à lait pour les multinationales européennes et américaines.
Et pour cause, alors que les dernières rencontres du FMI se terminent à 17 heures (heure de Washington), et à la minute près, Israël déclenche, la main dans la main avec les Américains, plusieurs vagues d’attaques contre l’Iran, le Liban et Gaza. C’est juste pour dire encore une fois «America first».
Ce vendredi, exactement 17h dans les couloirs du siège du FMI et juste après la fermeture de la Bourse de Wall Street, la guerre américaine contre les pays qui la contestent a repris mortellement, dramatique.
Et pour gagner les élections il faut mener des guerres et massacrer des Arabes… et pour éterniser dans une certaine mesure, le système de Bretton Woods.
Toutes les études et prédictions annoncées la même semaine par le FMI quant aux prévisions de croissance sont déjà, cinq jours après, obsolètes, désuètes et simplement pas honnêtes.
Rappelons que les premiers leaders du FMI et de la BM ont été des militaires, des généraux américains qui n’ont pas pu arriver à leur objectif pacifiquement.
* Economiste universitaire.
Blog de l’auteur : Economics for Tunisie.
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