La guerre civile soudanaise qui entrera au mois d’avril dans sa troisième année est actuellement la plus grave crise humanitaire dans le monde, le bilan humain a dépassé les 150 000 morts et a entraîné le déplacement forcé et l’exil de 10 millions de Soudanais. Toutes les atrocités sont commises et pourtant, elle demeure le conflit invisible que la communauté internationale et les médias ignorent sciemment. Aujourd’hui, certains espèrent que le nouveau président américain pourra y mettre fin. Encore faut-il qu’il y voit lui-même quelque intérêt pour les Etats-Unis.
Imed Bahri
Dans une analyse publiée dans le magazine américain Foreign Policy, Cameron Hudson, chercheur principal au programme Afrique du Centre d’études stratégiques et internationales, estime que le président américain est le seul capable de mettre fin à la guerre au Soudan en raison de sa grande et vaste influence sur Khartoum et les puissances régionales.
Rout en admettant que l’Afrique ne figure généralement pas en tête des priorités de la politique étrangère de Trump, le chercheur souligne que le Soudan est l’un des pays où le besoin d’engagement américain est le plus grand et où l’intervention de Washington pourrait être l’ingrédient crucial manquant pour y mettre fin à la guerre actuelle.
Contrairement à la plupart des pays africains, Trump a une histoire avec le Soudan. Sa première administration a entamé un processus complexe pour retirer ce pays de la liste des États soutenant le terrorisme afin de le mettre sur la voie de l’allègement de la dette et de la réhabilitation économique et d’ailleurs, le retrait de la liste a été officialisé en décembre 2020.
L’opération a consisté à obtenir la garantie que les services de renseignement américain pourraient, avec le soutien du Congrès, négocier un accord pour la restitution de 335 millions de dollars pour les victimes américaines des attaques terroristes. Il a également promis de normaliser les relations entre Washington et Khartoum avec le premier échange d’ambassadeurs depuis 25 ans.
Hudson a aussi rappelé que Trump a poussé le gouvernement soudanais à signer les accords d’Abraham malgré l’opposition des dirigeants militaires et civils de ce pays d’Afrique de l’Est, les deux parties affirmant que la nature transitoire de leur gouvernement et l’absence d’un parlement permanent ne leur donnaient pas le mandat de s’engager dans de nouvelles obligations conventionnelles.
En fin de compte, le Soudan n’avait aucun moyen de résister et a été contraint d’accepter, dans l’espoir d’en finir avec les sanctions américaines.
La plus grave crise humanitaire au monde
Après que le Soudan ait accepté les conditions du ministère américain de la Justice pour le retirer de la liste des pays terroristes, Trump a annoncé triomphalement, en octobre 2020, que ce Soudan avait normalisé ses relations avec Israël en devenant l’un des trois seuls pays arabes à avoir signé les accords d’Abraham.
Hudson estime que Trump hérite aujourd’hui d’un dossier soudanais très différent de celui qu’il avait transmis à son prédécesseur Joe Biden il y a quatre ans. La guerre qui dure depuis près de deux ans a dévasté le pays qui connaît désormais la plus grave crise humanitaire au monde.
L’argument moral en faveur d’une réponse à la souffrance collective du peuple soudanais pourrait ne pas fonctionner avec une administration qui se consacre d’abord à servir les intérêts des Etats-Unis. Cependant, Washington a des intérêts stratégiques et une influence inexploitée au Soudan qui dépassent de loin le bilan humain du conflit ce qui place Trump dans une position unique pour proposer des solutions pour mettre fin à la guerre.
Il est tout à fait clair que l’administration Trump ne peut pas relancer les accords d’Abraham alors que l’un de ses cinq signataires, le Soudan, est en train de s’effondrer et de se désintégrer, d’autant que le conflit dans ce pays est plus qu’une simple guerre entre deux généraux rivaux qui se battent pour le contrôle du pays. L’enjeu de ce conflit pour les États-Unis et leurs alliés régionaux c’est le prestige, la richesse et l’influence dans la région de la mer Rouge et la Corne de l’Afrique, et le coût de cette compétition est assumé par le peuple soudanais.
Dans ce mélange d’ambitions régionales, il existe une opportunité de conclure un accord qui fasse taire les armes au Soudan, évite le pire scénario humanitaire et pose les bases d’un éventuel retour à un régime civil.
La paix au Soudan aidera à stabiliser le Moyen-Orient
En effet, les dirigeants militaires soudanais voient le retour au pouvoir de Trump avec ses relations personnelles, son respect partagé pour les puissances régionales et son penchant pour les négociations comme une opportunité de conclure un accord qui apporterait la stabilité au Soudan et une paix plus large au Moyen-Orient.
Mettre fin à la guerre au Soudan et au besoin d’armement qui en découle priverait deux des plus grands adversaires de Washington de l’opportunité qu’ils ont utilisée pour gagner une position stratégique dans la région. La Russie et l’Iran ont en effet bénéficié plus que tout autre pays de la guerre au Soudan pour relancer leur diplomatie, tirer profit des ventes d’armes et raviver leurs espoirs d’établir une présence navale sur la côte soudanaise de la mer Rouge.
Toutefois, les hauts responsables soudanais avancent avoir noué des liens avec Téhéran et Moscou parce qu’ils ont été rejetés par les responsables occidentaux qui ont ouvertement déclaré qu’ils considéraient l’armée soudanaise comme une autorité étatique illégitime.
Le chercheur conclut son analyse en affirmant que le peuple soudanais est au bord de la famine et que l’État lui-même est au bord de l’effondrement. Et que l’administration Trump a intérêt à agir pour y rétablir la stabilité. Et de se projeter comme une force pacificatrice dont les Soudanais ont besoin. Assumer ce rôle servirait non seulement les intérêts stratégiques américains en Afrique mais ferait également avancer les intérêts politiques de Trump au Moyen-Orient.
Il reste à savoir si ce dernier entendra cet appel et verra dans la fin de la guerre civile au Soudant quelque intérêt pour l’Amérique.
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