Une rencontre fort instructive s’est tenue, samedi 31 mai 2025, au siège de l’Alliance Française de Bizerte, en présence de représentants de plusieurs associations régionales, autour d’un thème original et passionnant : «Les Premiers ministres en Tunisie, du temps des Husseinites jusqu’à nos jours». La conférence a été animée par l’éminent commis d’État, Fouad Lakhoua, dont le parcours professionnel et associatif remarquable témoigne d’un engagement et d’une expertise assez rares. (Ph. Palais du gouvernement à la Kasbah/Fouad Lakhoua).
Lotfi Sahli

Fathi Belkahia, le dynamique président de l’Alliance Française à Bizerte, a présenté le conférencier et l’infatigable Abdelwahed Azib a modéré le riche et passionnant débat qui a suivi.
M. Lakhoua a retracé l’histoire politique tunisienne à travers la succession de 28 grands vizirs, de 1759 jusqu’à l’indépendance, et de 21 Premiers ministres depuis 1956 jusqu’à nos jours. La narration de cette longue histoire, qui ne fut pas de tout repos pour les personnalités concernées, souvent ballottées par les vents de l’histoire et, pour la plupart, rattrapés par leurs propres tares de gouvernance et dérives de pouvoir, a beaucoup intéressé l’assistance, composée d’intellectuels, de commis de l’Etat et d’acteurs de la société civile passionnés par l’histoire.
De la monarchie à la république
Il a mis la lumière sur la vie politique sous la dynastie husseinite qui était rythmée par d’interminables et intenses intrigues de palais. La transmission du pouvoir n’obéissait pas toujours à des règles claires et donnait lieu à des rivalités fratricides et à des complots, parfois sanglants. Plusieurs Beys furent renversés, voire assassinés, par des membres de leur propre famille ou par des courtisans assoiffés de pouvoir. À cela s’ajoutaient les jeux d’influence entre les grands vizirs et les hauts fonctionnaires, qui se disputaient la confiance du souverain à coups d’alliances secrètes, de trahisons et de manœuvres visant à écarter leurs rivaux.
Ces tensions internes se doublaient de calculs diplomatiques complexes, dans un contexte marqué par la présence ottomane et la pression grandissante des puissances européennes, notamment la France, l’Italie et l’Espagne. Chaque faction tentait de tirer profit de ces relations extérieures pour renforcer sa position au sein de la cour.
Le contrôle des ressources financières et commerciales constituait également un enjeu de taille. Les postes clés liés aux impôts et au commerce étaient convoités, ce qui alimentait les rivalités et favorisait une corruption systémique.
Ces intrigues, bien qu’elles aient parfois affaibli l’autorité centrale, révèlent la richesse et la complexité de la vie politique sous les Husseinites, le Bey et son entourage devant sans cesse composer avec des forces concurrentes pour préserver leur pouvoir.
Le conférencier a souligné un fait d’une grande importance : l’abolition de l’esclavage en Tunisie qui eut lieu le 23 janvier 1846 sous le règne d’Ahmed Bey, grand réformateur devant l’Eternel, dont ce ne fut l’unique innovation puisqu’il créa aussi l’École militaire du Bardo en mars 1840 pour prodiguer une formation moderne aux futurs officiers de l’armée, qui atteignit, sous son règne, 50 000 hommes de troupes.
Kheireddine Pacha, grand vizir, a gardé un souvenir clair de sa vie avant sa capture à l’âge de 17 ans. Cette expérience a nourri en lui un profond désir de dignité, d’ascension sociale et de réforme. Animé par cette volonté, il a entrepris des réformes pour moderniser l’administration tunisienne. Il a également contribué à l’élaboration de la première constitution du monde arabe et musulman, un texte destiné à limiter les pouvoirs du bey et à instaurer une monarchie constitutionnelle.
Au gré de l’histoire
La réforme institutionnelle du 7 novembre 1969 en Tunisie a représenté un tournant décisif dans l’évolution du système politique post-indépendance. Cette date marque l’adoption du décret n° 69-400 qui établit pour la première fois un Premier Ministère, créant ainsi un mécanisme institutionnel crucial pour pallier les lacunes juridiques en matière de succession présidentielle. Cette innovation constitutionnelle, promulguée sous la présidence d’Habib Bourguiba, considéré comme le bâtisseur de l’Etat tunisien moderne, répond à un besoin urgent de stabilisation institutionnelle dans un contexte de consolidation de l’État tunisien nouvellement indépendant.
Au gré de l’histoire et de ses aléas, le poste de Premier ministre a vu ses prérogatives et son pouvoir prendre de l’ampleur ou s’éclipser devant celui de président de la république, mais ses détenteurs ont toujours joué un rôle de premier ordre dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales, étant entendu que les questions politiques et diplomatiques sont restées l’apanage du chef de l’Etat, le bey avant l’abolition de la monarchie le 25 juillet 1957 et le président après la proclamation de la république, le même jour.
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