La Tunisie a besoin aujourd’hui non seulement d’un cap politique, mais d’un dispositif administratif cohérent, innovant et résolument orienté vers les résultats. Il ne s’agit pas de renier le rôle historique joué par le président Kaïs Saïed dans le redressement du pays, mais bien de reconnaître que la phase actuelle exige une gouvernance plus structurée, plus participative et plus orientée vers l’efficacité.
Leith Lakhoua *

Il est incontestable que le président Kaïs Saïed a, à un moment décisif de l’histoire récente de la Tunisie, réussi à écarter de graves dangers qui menaçaient l’existence même de l’État républicain. Face à une anarchie parlementaire croissante, à la complaisance de certaines institutions de l’État vis-à-vis de réseaux mafieux, et à une infiltration systématique des intérêts privés dans les rouages publics, l’intervention du président a été salutaire. Elle a permis de remettre de l’ordre dans un pays qui glissait lentement mais sûrement vers une forme de désintégration institutionnelle.
Réussites et échecs
Parmi les actions positives à mettre à son actif, on peut citer la relance de plusieurs entreprises nationales stratégiques comme la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), la Société nationale des celluloses et du papier Alfa (SNCPA) et la Société tunisienne du sucre (STS). Ces entités, longtemps paralysées, connaissent depuis un retour progressif à l’activité, ce qui contribue indéniablement à l’effort national de relance économique.
Cependant, à côté de ces réussites, certaines initiatives du président ont montré leurs limites, voire leur inefficacité. C’est le cas notamment des «charikat ahlia», sociétés communautaires qui peinent à émerger, faute de garanties solides assurant la viabilité de leurs projets.
À cela s’ajoute l’opacité entourant le Conseil national des régions et des districts (CNRD), dont les prérogatives restent floues. Il semble que ce conseil devait contribuer à l’élaboration de la loi électorale relative aux collectivités locales; or, à ce jour, aucune élection municipale n’a été tenue, et les communes du pays vivent dans une anarchie croissante, marquée par l’abandon, l’inefficacité, et l’absence de toute gestion structurée.
Par ailleurs, la Tunisie se trouve à l’orée de plusieurs projets stratégiques à forte valeur ajoutée : le port en eaux profondes d’Enfidha, le pont de Bizerte, la réhabilitation de l’aéroport de Tunis-Carthage, le développement du réseau ferroviaire, la transition vers l’énergie verte, ou encore le projet ambitieux de la Cité médicale des Aghlabides. Ces projets, vitaux pour l’avenir économique du pays, mériteraient un pilotage institutionnel spécifique, méthodique et suivi.
C’est pourquoi, afin de passer à une vitesse supérieure et répondre aux exigences de l’heure, il devient nécessaire d’envisager une série de mesures structurelles :
– la réévaluation du CNRD pour déterminer de manière claire s’il constitue une véritable valeur ajoutée ou s’il représente une charge superflue pour les finances publiques; le cas échéant, sa dissolution permettrait de recentrer les ressources sur des structures réellement utiles;
– l’adoption d’une loi électorale claire et organisation des élections municipales : la vacance du pouvoir local ne peut plus durer, et il est impératif de rétablir les conseils municipaux élus afin de restaurer une gestion locale responsable, légitime et efficace;
– la création d’un ministère des Grands Projets qui aurait pour mission exclusive de piloter les projets d’envergure nationale, avec un calendrier précis, des budgets clairs et des rapports d’avancement périodiques (trimestriels ou semestriels);
– la constitution de cellules d’expertise auprès de la présidence : le président gagnerait à s’entourer de conseils techniques dans les différents domaines de gestion (économie, infrastructure, énergie, santé, gouvernance territoriale), capables de suivre le rendement des institutions, proposer des solutions et garantir un minimum de continuité et d’évaluation dans l’action publique.
Le temps est venu de construire
Il est vrai que Kaïs Saïed a été confronté à des trahisons, parfois au plus haut niveau de l’État, y compris parmi les personnes qu’il avait lui-même promues. Mais ces cas isolés ne doivent pas justifier une méfiance systématique ni entraver la dynamique nécessaire à la gestion efficace d’un pays en quête de stabilité et de croissance.
Le temps est venu non plus de dénoncer, mais de construire; non plus de soupçonner, mais de confier avec méthode, contrôle et rigueur.
La Tunisie a besoin aujourd’hui non seulement d’un cap politique, mais d’un dispositif administratif cohérent, innovant et résolument orienté vers les résultats. Il ne s’agit pas de renier le rôle historique joué par le président, mais bien de reconnaître que la phase actuelle exige une gouvernance plus structurée, plus participative et plus orientée vers l’efficacité. C’est à ce prix que la Tunisie pourra relever les défis du monde moderne et redonner espoir à ses citoyens.
* Consultant en organisation industrielle et logistique.
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