L’Inde tourne le dos aux États-Unis et se rapproche de la Chine

Personne ne s’attendait à ce que les relations entre le président américain Donald Trump et le Premier ministre indien Narendra Modi se dégradent qui plus est, aussi rapidement. Elles sont passées des accueils chaleureux, des embrassades et des foules nombreuses venues accueillir Trump à une altercation publique, aux droits de douane exorbitants et aux accusations d’«humiliation nationale». Le divorce est désormais consommé ! 

Imed Bahri

Ces derniers mois ont révélé une profonde fracture dans les relations entre Washington et New Delhi, à un moment délicat où les questions commerciales et géopolitiques sont étroitement liées et où la rivalité avec la Chine et la Russie s’intensifie.

Le New York Times (NYT), dans un article de Mujib Mashal, Tyler Pager, et Anupreeta Das, rapporte que le conflit a éclaté à la mi-juin, lorsque Trump a appelé Modi et a réitéré sa conviction d’avoir réussi à mettre fin au conflit militaire de quatre jours entre l’Inde et le Pakistan.

Le journal ajoute que Trump est allé plus loin en rappelant à Modi que le Pakistan avait décidé de le proposer pour le prix Nobel de la paix, insinuant que l’Inde devrait faire de même. Cependant, le Premier ministre indien a réagi contre la volonté de Trump, soulignant que le cessez-le-feu avait été négocié par des voies bilatérales directes et sans aucune intervention américaine.

Le NYT poursuit en affirmant que le refus de Modi d’aborder la question du prix Nobel a marqué un tournant dans la relation entre les deux hommes, qualifiée d’étroite il y a quelques années. Cette relation s’était clairement illustrée en 2020 lors de sa visite dans l’État du Gujarat, au milieu d’une foule nombreuse.

Droit de douane de 25% sur les importations indiennes

Les relations se sont vite dégradées. Quelques semaines seulement après l’appel de la mi-juin, Trump a envenimé la situation en annonçant un droit de douane de 25% sur les importations indiennes, avant d’en ajouter 25% supplémentaires suite à l’achat de pétrole russe par New Delhi, portant ainsi le tarif à 50%.

La Maison Blanche a justifié cette décision par une volonté de punir la Russie et de nuire à ses sources de financement de la guerre mais les observateurs y ont vu une sanction pour le non-respect par l’Inde de la ligne américaine. Ils ont souligné que la Chine, principal acheteur de brut russe, n’était soumise à aucune mesure similaire.

Le journal américain a rapporté que l’Inde et le Brésil, dirigé par le président Luiz Inacio Lula da Silva, qui est publiquement en désaccord avec Trump, étaient les deux seuls pays confrontés à des droits de douane de 50%, tandis que le Pakistan s’en est sorti avec un droit de douane beaucoup plus bas de seulement 19%.

Durcissement des restrictions sur les visas

Les tensions ne se limitent pas aux échanges commerciaux. New Delhi s’est également heurtée à un mouvement anti-immigration au sein de la base politique de Trump. Bien que les responsables indiens espéraient trouver un terrain d’entente avec la droite américaine, ils ont été surpris par les critiques adressées aux titulaires de visas H-1B, dont la plupart sont indiens.

Le durcissement des restrictions sur les visas étudiants –les Indiens représentent un quart des étudiants internationaux aux États-Unis– a également choqué New Delhi.

La question est devenue plus sensible lorsque des centaines d’Indiens ont été expulsés menottés à bord d’avions en février dernier, ce qui a profondément embarrassé Modi alors qu’il se préparait à se rendre à Washington.

Le NYT a rapporté qu’en mai, face à l’intensification des combats entre l’Inde et le Pakistan, l’administration Trump a tenté de jouer le rôle de médiateur. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a annoncé que les deux parties s’étaient mises d’accord pour la tenue de «pourparlers en terrain neutre» tandis que Trump a publié sur Truth Social son annonce d’un «cessez-le-feu immédiat et complet»

Cette position a suscité la colère des responsables indiens car toute médiation extérieure viole une doctrine bien ancrée dans la diplomatie de New Delhi qui consiste à limiter la question du Cachemire à un cadre strictement bilatéral. Un responsable en colère a demandé aux journalistes: «Vous me croyez ou vous croyez Trump?»

Plus tard et alors que les négociations commerciales se poursuivaient, Trump avait tenté d’organiser un nouvel appel avec Modi en vue d’un «accord partiel» mais le Premier ministre indien avait refusé. Les responsables indiens ont déclaré craindre que Trump ne publie ce qu’il voulait sur Truth Social sans respecter l’accord conclu.

Si la Maison-Blanche a nié que Trump ait tenté de contacter Modi à plusieurs reprises, des sources indiennes ont confirmé qu’il avait envoyé plusieurs demandes restées sans réponse.

Le NYT a rapporté que la Maison-Blanche avait tenté d’apaiser les tensions en nommant Sergio Gore, un proche de Trump, ambassadeur en Inde, tout en lui attribuant le rôle d’envoyé régional. Cependant, New Delhi a perçu un «amalgame entre l’Inde et le Pakistan» dans le terme «régional» et cela a été vécu comme un affront supplémentaire.

Modi prend ses distances avec les Américains

Avec l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane et les critiques persistantes des conseillers de Trump à l’égard de l’Inde –l’un qualifiant l’approche commerciale de New Delhi d’arrogante et un autre l’accusant d’être responsable de la guerre en Ukraine, la qualifiant de «guerre de Modi»–, le Premier ministre indien semble avoir choisi de prendre ses distances avec les Américains.

Publiquement, Modi a parlé d’«autosuffisance» et a relancé sa campagne «Made in India» axant ainsi son discours sur l’intérieur plutôt que de miser sur un accord commercial avec Washington.

Narendra Modi s’est rendu personnellement en Chine ce week-end pour assister au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, une première depuis 2018. La Chine l’a d’ailleurs reçu avec déférence. Chose rare, Modi a même tweeté en mandarin à son arrivée et s’est affiché tout sourire avec le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping.

Les signes de rapprochement avec Pékin se sont multipliés ces derniers temps avec la reprise des vols directs et un assouplissement des visas. Les deux pays ont également réaffirmé leur volonté de désengagement militaire sur leur frontière dans l’Himalaya.

Cet épisode illustre parfaitement comment le «véritable ami» comme Trump était il n’y a pas encore si longtemps décrit en Inde est devenu un adversaire que New Delhi accuse d’«humiliation nationale».

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