Les journalistes d’Al-Jazeera dans le viseur de l’armée israélienne

Depuis le début de la guerre génocidaire israélienne contre Gaza, la chaîne d’information continue Al-Jazeera est le premier témoin des crimes de l’État hébreu et rapporte 24heures/24 et 7jours/7 tout ce qui se passe dans l’enclave palestinienne. Ce témoin gênant est une cible de premier plan pour Israël qui a tué des journalistes d’Al-Jazeera comme Ismail Al-Ghoul et Anas Al-Sharif ainsi que des cameramen et des chauffeurs de la chaîne. D’autres journalistes ont vu leur famille décimée comme Moamen Al-Sharafi qui a perdu toute sa famille ou Wael Al-Dahdouh qui a été blessé et a perdu plusieurs membres de la sienne. À chaque fois, Israël prétend sans aucune preuve que les journalistes d’Al-Jazeera sont des membres du Hamas. Aujourd’hui, la jeune Nour Khaled a repris le flambeau au péril de sa vie. (Ph. En reprenant le flambeau des mains de ses collègues assassinés par l’armée israélienne, Nour Khaled sait que la mort sera au bout du chemin).

Imed Bahri 

Le Financial Times a publié une enquête sur les journalistes d’Al-Jazeera travaillant à Gaza. Cette enquête, préparée par Mehul Srivastava et Heba Saleh, indique que les journalistes palestiniens qui risquent leur vie pour documenter les guerres israéliennes sont confrontés à de nombreux défis de différentes natures. 

Peu après l’assassinat par Israël d’Anas al-Sharif, l’un des correspondants les plus éminents d’Al Jazeera à Gaza, sa successeure, Nour Khaled, a été contrainte de faire un choix difficile. Elle s’est réunie avec ses neuf collègues survivants dans leur tente de presse improvisée, réparée à la hâte, devant l’hôpital Shifa de Gaza –l’endroit même où al-Sharif, quatre de leurs collègues et deux journalistes indépendants ont été tués le mois dernier– et a discuté de la question. Devraient-ils se déplacer vers le sud ou rester dans la ville de Gaza pour documenter l’invasion israélienne imminente de la plus grande ville de l’enclave assiégée jusqu’au départ de la dernière personne pour enregistrer sa voix et livrer son témoignage ?

«Je préfère rester», a déclaré Nour Khaled, 27 ans, si mal nourrie que sa veste de presse, l’une des rares que la chaîne possède encore à Gaza, est trop grande pour sa silhouette élancée. «Si je reste, cela ne signifie pas que je cherche la mort mais plutôt que je m’engage à couvrir l’actualité», a-t-elle expliqué au Financial Times.

Israël a tué au moins 189 journalistes palestiniens

Cependant, le danger est clair. Israël a tué au moins 189 journalistes et professionnels des médias palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre 2023, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.

Le journal britannique ajoute que des dizaines de personnes ont été tuées dans l’exercice de leurs fonctions, tandis que les autorités de Gaza estiment à 63 000 le nombre de personnes tuées pendant la guerre.

Le rythme des assassinats est sans précédent. Israël a tué presque autant de journalistes en 22 mois de guerre qu’en deux décennies de conflit en Irak, selon les groupes de défense des droits des médias.

La peur se lit dans le regard de la journaliste palestinienne à Gaza

Le danger ne s’est pas atténué face à l’indignation internationale. La semaine dernière, les forces israéliennes ont tiré plusieurs obus sur un emplacement bien connu de l’hôpital Nasser, tuant cinq journalistes, dont des collaborateurs de Reuters, d’Associated Press et d’Al Jazeera et plus d’une douzaine de secouristes. 

Après avoir initialement qualifié l’incident d’accident malheureux, Israël a affirmé avoir tué six combattants du Hamas. Cependant, il n’a fourni aucune preuve et a refusé de répondre à une liste détaillée de questions complémentaires concernant cet incident et d’autres incidents au cours desquels des journalistes ont été tués.

La BBC, l’Agence France-Presse et d’autres médias ont également mis en garde contre les dangers auxquels leurs journalistes sont confrontés à Gaza, notamment la famine.

Pour Al Jazeera, les menaces étaient nombreuses et spécifiques, en particulier contre sa chaîne en langue arabe, regardée par des centaines de millions de personnes dans la région. Le média financé par le Qatar est devenu la principale source d’information concernant la guerre israélienne contre Gaza, transformant ses correspondants en symboles palestiniens. L’armée israélienne a accusé six employés de la chaîne dont Al-Sharif d’être des «terroristes», c’est à croire que pour Israël, tout Palestinien est par définition un terroriste. Dix journalistes et professionnels des médias d’Al Jazeera ont été tués.

Où qu’ils vont, les journalistes sont pris pour cibles

Israël décrit la chaîne comme «un canal de propagande du Hamas», affirmant qu’elle possède des «preuves de l’infiltration de terroristes du Hamas au sein du réseau médiatique qatari Al Jazeera».

Cependant, aucun média indépendant ni aucune grande organisation de défense des droits humains n’a jugé crédibles «les preuves» publiées par Israël telles que les captures d’écran de prétendus bulletins de salaire.

Le CIJ a déclaré que l’armée israélienne n’avait pas répondu à ses demandes d’informations complémentaires. «Près d’une douzaine de journalistes figurent sur des listes diffamatoires. Ces journalistes craignent désormais pour leur vie», a déclaré Sara Qudah, directrice régionale du CPJ.

Nour Khaled se dit hantée par la peur. Au cours de 22 mois de guerre, l’aviation israélienne a tué trois de ses frères, détruit sa maison et déplacé sa famille. La semaine dernière, une bombe israélienne est tombée près de l’endroit où sa famille s’était réfugiée. «J’étais hystérique», a-t-elle confié.

En acceptant ce poste chez Al Jazeera, Nour Khaled réalise qu’elle se retrouve sous les feux des projecteurs. «Je ne cache pas la peur de ma mère pour moi car les journalistes sont devenus des cibles. Où que nous allions, nous pourrions être pris pour cible», a-t-elle déclaré. 

L’équipe d’Al Jazeera à Gaza est passée d’une vingtaine d’employés avant la guerre à environ 130 aujourd’hui.

Selon Tamer Al-Mishal, qui a débuté sa carrière à Gaza avant de s’installer à Doha et qui supervise désormais la couverture de la guerre, ce nombre comprend des chauffeurs, des techniciens, des équipes de tournage et de nouveaux correspondants. Cette expansion est en grande partie due aux ordres d’évacuation israéliens et aux opérations de combat qui ont empêché les petites équipes de reportage de se déplacer librement dans la bande de Gaza.

Israël a refusé aux journalistes étrangers un accès indépendant à Gaza et n’a pas autorisé l’entrée de matériel de diffusion dans la bande de Gaza. Même Al Jazeera, pourtant bien dotée financièrement, a du mal à surmonter les obstacles pratiques qui l’empêchent de couvrir les événements dans une zone de guerre assiégée. Deux correspondants dans le sud de la bande de Gaza partagent un même micro, les caméras sont délabrées et les camions satellite manquent de pièces détachées. Al-Mishal estime que 90% de ses employés ont vu leurs maisons détruites et que la quasi-totalité d’entre eux souffrent de malnutrition, tout en s’efforçant de subvenir aux besoins de familles nombreuses.

Moamen Al-Sharafi, l’un des huit correspondants arabophones de la chaîne, a perdu 22 membres de sa famille dont ses parents et ses frères et sœurs, dans un bombardement en décembre 2023. Il est resté à Gaza mais lorsqu’il a tenté de louer un appartement pour sa femme et ses enfants, sa demande a été refusée car les habitants craignaient que vivre à proximité d’un journaliste d’Al Jazeera ne les expose aux bombardements israéliens. Il a déclaré : «À la dernière minute, alors que j’étais sur le point de lui remettre l’argent, le propriétaire m’a appelé et m’a dit: Je suis désolé, je ne savais pas que vous étiez journaliste pour Al Jazeera»

La chaîne a indiqué que son correspondant, Ismail Al-Ghoul, avait été arrêté par les forces israéliennes début 2024 et interrogé pour ses liens présumés avec des militants du Hamas. Libéré quelques heures plus tard, il a été assassiné quatre mois plus tard lors d’une frappe aérienne et Israël a réitéré les mêmes accusations.

Dans le cas d’Anas Al-Sharif, l’armée israélienne ne l’a jamais arrêté. Il a affirmé que des documents interceptés précédemment démontraient son appartenance au Hamas mais n’a fourni aucune preuve de son implication dans des activités armées pendant le conflit actuel.

Nour Khaled : «Je devais aller au bout du voyage»

Les juges du CPJ ont affirmé que les lois de la guerre n’autorisent le meurtre de journalistes que s’ils sont directement impliqués dans les hostilités en cours. L’armée israélienne n’a inculpé les six journalistes tués d’aucun crime, ce qui, selon le CPJ, constitue un crime de guerre.

Après leur mort, Nour Khaled a déclaré: «J’ai senti quelque chose en moi me dire que je devais aller au bout du voyage pour lequel ils ont sacrifié leur vie ». Elle a expliqué que c’était la raison pour laquelle elle avait accepté de travailler malgré le danger. C’est la même raison qui l’avait finalement poussée, elle et l’équipe d’Al Jazeera, à rester à Gaza ville malgré l’approche des chars israéliens. Avant de choisir de rester, Nour a dit à Al-Mishal : «Si je garde le silence en tant que journaliste, cela garantirait-il ma sécurité? Non, le silence ne garantira pas ma sécurité».

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