Le poème du dimanche | ‘‘La vie s’enfuit’’ d’Eugenio Montale

Né en 1896 à Gênes, Eugenio Montale est poète et traducteur italien. Antifasciste, il a reçu le Prix Nobel de littérature en 1975.

Il publie ses premiers poèmes en 1922, Dès cette période, il signe le Manifeste antifasciste. Surveillé et poursuivi par la police, il est licencié de son travail. Se déplace dans différentes villes italiennes où il se lie d’amitié avec des intellectuels et des créateurs progressistes.

Après la guerre, Montale devient journaliste, effectue des voyages à l’étranger, notamment, en France, en Bretagne, qui lui inspire ‘‘Finisterre’’, rencontre beaucoup de poètes et écrivains. En 1967, ses poèmes sont publiés chez Gallimard. Il décède en 1981, année où parait son septième et dernier recueil, ‘‘Autres vers et poèmes éparses’’. Son buste entre à la Scala de Milan.

Tahar Bekri

La vie s’enfuit

et quiconque tente de la faire refluer

rentre dans l’écheveau originel :

où pourrions-nous alors cacher, si nous tentons

à l’aide de rudiments ou pire, de survivre,

les objets qui nous paraissaient

une part non périssable de nous-mêmes ?

Il était une petite étagère

qui voyageait avec Clytie, réceptacle

de Saints Pères et de poètes équivoques, ayant

la vertu de flotter peut-être

sur la crête des vagues

quand le déluge aura tout englouti.

Au moins quelques miettes de toi

sinon de moi devraient vaincre l’oubli.

Et de moi ? L’espoir est que s’effacent

le visible zt le temps qui lui a

fourni la preuve douteuse que cette parole Est

(un E majuscule, seule lettre

de l’alphabet qui  rend possible

ou du moins supposable l’existence)

Ensuite (tu as souvent porté

des lunettes noires et les as totalement

supprimées en même temps que les puces de John Donne)

prépare-toi au grand plongeon,

Nous fûmes heureux un jour, une heure un instant

et cela pourra-t-il etre détruit ?

Certains disent que tout recommence

copie conforme : mais je ne le crois pas

ni ne le souhaite. Toi aussi

le crois-tu ? Il n’y a pas de sibylle à Cumes

pour le savoir. Et si cela était, nul ne serait

assez nigaud pour lui prêter l’oreille.

Traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini

‘‘Autres vers et poèmes éparses (Derniers poèmes) – Poèmes choisis 1916-1980’’,  Poésie/Gallimard, 1991.

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