La crise de la pollution industrielle à Gabès prend une tournure dramatique puisque les émissions toxiques des usines du Groupe chimique tunisien (GCT) continuent de causer des malaises respiratoires aux jeunes et moins jeunes qui sont transportés en urgence à l’hôpital, alors que les autorités publiques semblent dépassées par l’ampleur de la tâche et ne pas savoir quoi faire pour réduire les émissions et calmer la colère des habitants. («On vous empoisonne par la chimie et on vous soigne par la chimie», dit la pancarte. Ph. Gabés.com.)
Latif Belhedi
Hier matin, mercredi 22 octobre 2025, trois semaines après le début des marches et des sit-in de protestation des habitants appelant à l’arrêt immédiate des machines dans les usines du GCT, plus de 20 cas d’asphyxie parmi les élèves de l’école primaire Chott Essalem ont été signalés par la Protection civile et relayés par Mosaïque.
«J’ai senti ma gorge brûler et ma tête devenir lourde, puis je me suis évanoui», a déclaré un élève. «L’usine est un poison mortel. Il faut la démanteler», a crié une mère, a joutant qu’elle empêcherait ses enfants de retourner à l’école jusqu’à ce que les autorités trouvent une solution. Une autre mère a déclaré que sa poitrine avait récemment commencé à brûler avant qu’elle ne vomisse et que ses yeux commencent à la brûler.
«Les fuites ne sont pas nouvelles, mais leur fréquence accrue les rend encore plus dangereuses», a renchéri le député Ahmed Guefrech, cité par l’agence AFP, qui impute les fuites de gaz toxiques à «des unités vétustes installées il y a 53 ans, avec des équipements non entretenus».
Le discours officiel passe mal
«Les autorités locales ont ouvert une enquête pour déterminer la nature de la substance et les causes de l’accident, tandis que des équipes spécialisées sont sur place pour contenir la fuite de gaz », a rapporté Mosaïque, reprenant des déclarations de responsables locaux. Sauf que ce genre de discours ne passe vraiment plus et les habitants de Gabès auront du mal à l’admettre, car l’«accident» dont on parle n’est pas si accidentel qu’on le dit, puisque les émissions de gaz toxiques ont commencé depuis plusieurs années, qu’ils ont été dûment constatés et documentés et que des appels ont été lancés depuis au moins 2016 pour que les responsables du gouvernement se penchent sérieusement sur cette question mais ils ne l’ont pas fait et les quelques promesses faites à cette époque à ce sujet ont été aussitôt oubliées. Ces derniers se sont contentés jusque-là de réagir par à coup, à chaque fois que des voix s’élèvent pour protester, pour mater les révoltes et faire taire les critiques, comme si la crise environnementale, qui n’a cessé de s’aggraver, pouvait être réglée par de simples déploiements sécuritaires dans la zone.
Hier, une grève générale organisée à l’appel de l’Union régionale du travail (URT) et des associations locales, a rassemblé plus de 100 000 personnes dans les rues pour exiger la fermeture immédiate des unités de fabrication d’engrais chimiques en attendant le remplacement de leurs équipements vétustes et le nettoyage de la zone côtière de Chatt Essalem, très polluée par les rejets de millions de donnes de phosphogypse. Les protestataires ont aussi exigé la libération des nombreuses personnes arrêtées pour avoir pris une part active aux protestations qualifiées de «pacifiques» par la plupart des observateurs sur place.
Une marge de manœuvre très réduite
En attendant, aucun membre du gouvernement n’a cru devoir se déplacer sur place pour discuter avec la population, écouter ses doléances et examiner les moyens de sortir de la crise, en rassurant les habitants, sans arrêter pour autant les machines, comme l’exigent ces derniers.
La marge de manœuvre des autorités publiques est certes réduite, mais comment espérer arriver à une solution sans négociation sérieuse avec les représentants de la population, dont la majorité ont fait jusque-là preuve de retenue et de sagesse ?
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