La Tunisie doit se préparer aux risques des voitures électriques

Le projet de loi de finances 2026 (PLF2026) prévoit un abaissement significatif des taxes à l’importation des voitures électriques, afin d’encourager les Tunisiens à les acquérir. Mais au-delà de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la voiture électrique représente pour la Tunisie une opportunité économique et technologique majeure. En se positionnant dès aujourd’hui sur ce créneau, notre pays pourrait non seulement réduire sa dépendance énergétique, mais aussi devenir un acteur régional incontournable dans la mobilité durable.

Mohamed Férid  Herelli & Taoufik Halila *

Certes, la transition vers la mobilité électrique constitue une réponse majeure aux défis environnementaux contemporains. En tant qu’alternative durable aux motorisations thermiques, le véhicule électrique s’impose progressivement comme une solution incontournable pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la dépendance aux énergies fossiles.

Toutefois, cette transformation du secteur automobile s’accompagne de contraintes techniques, économiques et logistiques qu’il convient d’examiner attentivement.

Les problématiques liées à la batterie et à l’autonomie

La batterie représente le cœur technologique du véhicule électrique. Sa performance et sa durabilité conditionnent directement l’efficacité et la viabilité de ce mode de transport. Or, plusieurs limites persistent.

a) Dégradation et coûts de maintenance:

L’usage intensif et prolongé d’une batterie entraîne une diminution progressive de sa capacité de stockage énergétique. On estime qu’elle perd entre 20 % et 30 % de son efficacité au fil du temps, ce qui affecte également la valeur de revente du véhicule.

Les conditions climatiques aggravent ce phénomène : les basses températures réduisent les performances et allongent les temps de recharge, tandis que la chaleur accélère le vieillissement des cellules et peut provoquer des surchauffes.

Le remplacement d’une batterie demeure une opération onéreuse, représentant jusqu’à 40 % du prix total du véhicule. Pour en limiter les effets thermiques, certains constructeurs développent des systèmes de refroidissement sophistiqués, mais ceux-ci augmentent les coûts de production.

En outre, l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries soulève des enjeux éthiques et écologiques majeurs, tandis que leur recyclage reste complexe et coûteux.

b) Le défi de l’autonomie :

Malgré les progrès réalisés, l’autonomie des véhicules électriques demeure inférieure à celle des véhicules thermiques. Cette contrainte engendre une forme d’«anxiété de la panne», particulièrement ressentie lors des trajets longue distance.

L’autonomie réelle dépend de la gamme du véhicule, des conditions de conduite, du relief, de la vitesse et de l’usage d’équipements énergivores tels que la climatisation. En hiver, la baisse d’autonomie peut atteindre jusqu’à 40 %, freinant ainsi l’adoption du véhicule électrique dans certains secteurs.

Les pannes électriques récurrentes 

Les véhicules électriques sont également sujets à des défaillances électroniques susceptibles d’altérer leur bon fonctionnement, notamment en raison de l’état des routes : vibrations répétées, nids-de-poule, fissures, ornières, affaissements et dos d’âne.

a) Les défauts du système de gestion de la batterie (BMS) :

Le Battery Management System (BMS) assure la surveillance et la régulation du fonctionnement de la batterie. Une anomalie dans ce dispositif peut provoquer une perte de puissance, une lecture erronée de l’état de charge, voire une impossibilité de démarrage.

Ces dysfonctionnements résultent souvent de problèmes logiciels, matériels ou de l’exposition à des conditions climatiques extrêmes (chaleur, humidité).

La maintenance du BMS requiert l’intervention de techniciens spécialisés et un suivi rigoureux des recommandations du fabricant, incluant des mises à jour logicielles régulières et des inspections périodiques.

b) Les défaillances du système de refroidissement :

Le système de refroidissement vise à maintenir la batterie à une température optimale. Des anomalies — fuites, obstructions, défaillance des capteurs ou erreurs logicielles — peuvent réduire significativement la performance du véhicule.

Dans les cas extrêmes, une surchauffe peut endommager irrémédiablement la batterie, nécessitant son remplacement complet. Une surveillance attentive des signaux d’alerte et un entretien régulier demeurent donc essentiels.

Les défis liés aux infrastructures de recharge

L’essor des véhicules électriques se heurtent à des contraintes d’infrastructure notables. Le nombre de bornes de recharge publiques reste insuffisant face à la croissance rapide du parc automobile électrique, engendrant des files d’attente, notamment lors des déplacements longue distance.

En outre, le projet de répartition géographique des bornes de recharge publiques est inégal : elles sont concentrées dans les zones urbaines et sur les grands axes routiers, tandis que les régions rurales restent sous-équipées.
Cette disparité limite l’usage du véhicule électrique pour certaines populations et freine sa diffusion.

La résolution de ces difficultés exige une coopération renforcée entre acteurs publics et privés, ainsi qu’un investissement massif dans la réparation et la maintenance des infrastructures.

Cependant, la mise en œuvre de ces projets demeure lente et complexe, révélant la nécessité d’une planification stratégique à long terme.
Il est également indispensable d’imposer aux opérateurs publics tels que Steg, Sonede, Tunisie Telecom, Onas, et autres, d’intervenir immédiatement dés l’achèvement des travaux sur la voie publique, afin d’éviter les dégradations persistantes qui compromettent la sécurité et la durabilité des routes.

L’importance de l’habilitation des opérateurs intervenants 

L’habilitation est cruciale pour les professionnels intervenant sur les véhicules électriques : elle garantit leur sécurité face aux risques d’électrocution et d’incendie, tout en assurant la conformité de l’atelier avec le Code du travail.

Elle est obligatoire pour tout technicien manipulant des composants à haute tension, selon des normes telles que la NF C18-550, et atteste de sa compétence à travailler en toute sécurité.

a) Les enjeux de l’habilitation :

– Sécurité des personnes : protection contre les risques d’électrisation, de brûlures graves, voire d’électrocution. 

– Conformité légale : obligation réglementaire imposée à l’employeur de s’assurer que ses salariés sont formés et autorisés à intervenir sous tension. 

– Protection des biens et du matériel : réduction des risques de dommages liés à une mauvaise manipulation. 

– Clarté des rôles et responsabilités : définition précise du périmètre d’intervention et des niveaux d’autorisation.

b) Normes et niveaux d’habilitation :

– Normes : NF C18-510 et NF C18-550 pour les véhicules électriques. 

– Niveaux : B1VL / B2VL : travaux hors tension; B1TL / B2TL : travaux sous tension; BXL : dépannage et remorquage; BEVL : opérations spéciales. 

– Validité et recyclage : habilitation limitée dans le temps, avec recyclage conseillé tous les trois ans et obligatoire chaque année pour les travaux sous tension.

c) Adaptation au contexte tunisien :

Il est urgent d’adapter les normes internationales en vigueur au contexte tunisien. L’Innorpi devrait élaborer une démarche d’urgence et confier la mission d’habilitation à une structure tierce, à l’instar du Cetime.

Le respect de cette démarche encouragerait les Tunisiens à adopter les véhicules électriques et éviterait la prolifération, à moyen terme, de «cimetières» de véhicules inutilisables.

Il ne fait désormais plus de doute : l’avenir appartient au véhicule électrique. L’industrie chinoise, pionnière en la matière, a pris une avance considérable sur le reste du monde, notamment grâce à une baisse spectaculaire des coûts de production. Résultat : des modèles de plus en plus abordables, qui, à terme, seront accessibles aux ménages à revenu moyen.

En Tunisie, la transition est amorcée, mais elle avance lentement. Le secteur des transports représente près de 36 % de la consommation énergétique nationale et contribue à hauteur de 26 % aux émissions de GES. Consciente de l’urgence, la Tunisie s’est dotée d’une stratégie nationale pour la mobilité électrique. 

L’objectif : mettre sur le marché 5 000 véhicules électriques d’ici 2026 et installer 60 bornes de recharge publiques sur tout le territoire. D’ici 2030, le pays espère atteindre 50 000 véhicules et 5 000 bornes. 

Mais à un an de l’échéance intermédiaire, le constat est mitigé : à peine 800 véhicules électriques sont aujourd’hui immatriculés. Pour cause, des prix encore trop élevés pour le consommateur tunisien moyen.

Des pistes concrètes pour accélérer la transition

Pour réussir ce passage inévitable vers une mobilité plus propre, plusieurs leviers doivent être activées dès maintenant. 

Au-delà des incitations fiscales et de la sensibilisation du public, il s’agit surtout de structurer un véritable écosystème local capable de créer de la valeur et des emplois qualifiés.

Parmi les actions prioritaires à mettre en place :

1. Former une nouvelle génération de techniciens à la maintenance des véhicules électriques au sein des ISET et des centres de formation professionnelle. 

2. Implanter une industrie nationale des batteries, première étape vers le montage local de véhicules électriques conçus selon les spécificités tunisiennes et africaines : infrastructures, climat, densité urbaine. 

3. Stimuler la recherche et l’innovation, en misant sur les ingénieurs et techniciens tunisiens capables de développer des solutions adaptées et de déposer des brevets reconnus à l’international. 

4. Développer des stations solaires de recharge, gérées par de jeunes entrepreneurs en partenariat avec les stations-service existantes, pour mailler efficacement routes, autoroutes et zones urbaines. 

5. Encourager l’autoproduction d’énergie solaire au niveau des habitations, permettant aux citoyens d’alimenter leurs foyers et de recharger leurs véhicules sans dépendre totalement du réseau national.

Un enjeu stratégique, pas seulement écologique

Au-delà de la réduction des émissions de GES, le véhicule électrique représente pour la Tunisie une opportunité économique et technologique majeure. En se positionnant dès aujourd’hui sur ce créneau, notre pays pourrait non seulement réduire sa dépendance énergétique, mais aussi devenir un acteur régional incontournable dans la mobilité durable.

Pour transformer l’essai, la tenue d’une Journée nationale d’étude sur le véhicule électrique réunissant tous les acteurs  publics, privés, universitaires et financiers  serait un pas décisif. 

Créer une synergie entre ces forces vives, c’est donner à la Tunisie les moyens de réussir son virage électrique et de prendre place, à son tour, sur la carte mondiale de la transition énergétique.

* Respectivement ancien D. G. du Cetime, expert, consultant en développement industriel et conseiller du Doyen de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT) & président de la Chambre nationale des intégrateurs des réseaux télécoms (Cnirt-Utica) et conseiller du Doyen de l’Ordre des ingénieurs tunisiens (OIT).

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