La Tunisie a pendant trop longtemps tourné le dos aux régions du sud et du sud-ouest. Les mesures libyennes de suppression des subventions sur les carburants et la conjoncture climatique et économique en Europe offrent l’opportunité historique d’une alternative crédible à la contrebande et un plus grand sentiment d’équité et d’appartenance nationale aux populations de ces régions qui n’ont reçu depuis l’indépendance que des fausses promesses et des solutions factices et illusoires.
Par Elyes Kasri *
L’annonce par le gouvernement libyen de son intention de supprimer les subventions sur les carburants a été perçue par de nombreux cercles tunisiens notamment l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) comme une menace potentielle au budget de l’Etat tunisien, conséquence d’une plus forte demande sur les produits pétroliers subventionnés en raison du rabattement de nombreux consommateurs des carburants libyens vendus dans les circuits de contrebande vers le circuit d’approvisionnement formel en Tunisie.
En outre, le sort d’un segment de la population frontalière tunisienne habituée au commerce informel du carburant libyen semble également être considéré comme une menace à la paix sociale dans ces régions historiquement volatiles.
Le propre d’un bon gestionnaire étant de voir dans toute menace une opportunité, cette décision libyenne devrait être considérée comme un coup porté à la contrebande qui a consacré l’émergence d’un non-Etat dans les régions frontalières et a alimenté la fraude, le blanchiment d’argent et, à l’occasion, le terrorisme et plus récemment un flux migratoire croissant avec des épisodes atroces.
Réparer une injustice qui a trop duré
Loin d’en vouloir au gouvernement libyen, la Tunisie n’a à s’en prendre qu’à elle même pour avoir ignoré depuis l’indépendance les besoins de développement durable de ces régions en les poussant, à force de manque d’opportunités et de laisser-aller, à la mise en place d’un système socio-économique de la contrebande et de non-Etat.
Ces régions possèdent pourtant un potentiel de développement agricole par l’exploitation des ressources aquatiques souterraines partagées entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye. Ce bassin de réserve d’eau souterraine s’étend sur une superficie totale d’un million de km2, partagé par l’Algérie (700.000 km2), la Libye (250.000 km2) et la Tunisie (80.000 km2).
Pour sa part, le tourisme saharien offre de grandes opportunités tant en raison de la proximité du Sahara tunisien de l’Europe que des avantages économiques offerts par le changement climatique avec ses hivers rigoureux et le renchérissement du coût du chauffage à la suite des sanctions européennes contre le gaz russe.
Le tourisme saharien qui a rate son décollage sous le règne de feu Ben Ali n’a pas trouvé sa voie depuis la révolution en dépit des slogans de création d’emplois et d’équité entre les régions en plus d’un objectif de discrimination positive qui ne s’est malheureusement manifesté que par la création de milliers d’emplois fictifs avec une culture prédatrice qui a failli couler un joyau économique tunisien à l’instar du Groupe chimique tunisien (GCT).
Pourtant, un programme de développement du tourisme dans les régions frontalières du sud et du sud-ouest pourrait créer de nombreuses opportunités d’emplois et d’investissement pour une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs.
A part les hôtels, dont le financement et la réalisation nécessitent des moyens substantiels, il serait utile de considérer un programme de promotion du tourisme de gîte ou chez le citoyen dans ces régions surtout lors de la saison hivernale (octobre-mars) coïncidant avec une forte demande en Europe pour des destinations au climat plus chaud.
Un programme pourrait commencer par choisir une dizaine de propriétaires ou de locataires de maisons dans chaque ville ou village du sud et du sud-ouest dans le cadre d’un programme pilote dont la commercialisation commencera à partir du mois d’octobre prochain.
Une chance pour le tourisme saharien
Ce démarrage pourrait être précédé par:
1- la sélection de propriétaires ou gérants de gîtes selon des critères techniques et professionnels à définir en se basant sur l’expérience d’autres pays qui ont développé ce créneau;
2- un programme de financement par des prêts subventionnés (entre 20 000 à 30 000 dinars) pour la réhabilitation des habitations en vue d’en faire des gîtes (un maximum de 3 chambres par unité) et la mise en place des équipements de première nécessité pour satisfaire une clientèle européenne;
3- la mise en place d’un programme de formation au niveau des centres de formation touristique et ultérieurement par des stages dans des unités hôtelières durant la saison estivale;
4- le lancement d’un programme national, pas nécessairement public, de réservation à l’instar d’Airbnb, pour faciliter la commercialisation et le suivi des doléances des clients étrangers;
5- compte tenu de son caractère pilote et de son importance socio-économique, ce programme gagnerait à être placé sous la supervision directe du commissariat régional du tourisme et du délégué de chaque circonscription;
6- des programmes d’assistance technique et financière étrangère seraient envisageables tant les incidences socio-économiques et sécuritaires d’un tel programme seraient perçues positivement par de nombreux pays européens et même asiatiques soucieux de contribuer au développement des zones frontalières et à la stabilisation de leur population. Outre l’Union Européenne et des pays comme la France, l’Italie, la Grande Bretagne et l’Allemagne, des pays asiatiques comme le Japon et la République de Corée pourraient apporter leur contribution. En 2011, le Japon avait déjà offert son assistance en vue de la réalisation de relais touristiques (Michi No Eki) et d’une école de tourisme et de cuisine japonaise à Nefta en vue de l’attraction des touristes japonais. Le cafouillage gouvernemental et la situation sécuritaire avaient compromis la mise en œuvre de ce programme;
7- la dynamisation du transport aérien vers ces zones (Nefta, Gafsa, El Borma …) à travers l’amélioration de la flotte et des dessertes de Tunisair Express (qui semblerait opérer actuellement avec un seul aéronef) ainsi que davantage de mesures incitatives aux compagnies européennes low cost pourraient améliorer l’accessibilité de ces zones longtemps négligées.
Une opportunité historique
La Tunisie a pendant trop longtemps tourné le dos aux régions du sud et du sud-ouest. Les mesures libyennes et la conjoncture climatique et économique en Europe offrent une l’opportunité historique d’une alternative crédible à la contrebande et un plus grand sentiment d’équité et d’appartenance nationale aux populations de ces régions qui n’ont reçu depuis l’indépendance que des fausses promesses et des solutions factices et illusoires.
Ce programme pourrait déclencher une dynamique économique vertueuse et durable en facilitant l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs et de créateurs de richesse dont la fortune viendrait de la promotion de la beauté et de la riche histoire de leur pays ainsi que son hospitalité légendaire.
* Ancien ambassadeur.
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