Les visites inopinées de Kaïs Saïed se suivent et se ressemblent. Elles lui offrent l’occasion de dénoncer la corruption, qui est, selon lui, à l’origine de tous les maux du pays, et de pointer les défaillances de l’administration publique. Mais à quoi servent-elles encore ? Vidéo.
Par Imed Bahri
Hier, mardi 12 mars 2024, le président de la république a effectué une visite inopinée aux dépôts ferroviaires de Jebel Jeloud et de Tunis-Marine pour déplorer l’état lamentable des transports publics et les conditions déplorables de maintenance des trains, mais cela tout le monde le sait, et depuis belle lurette, mais personne ne fait rien pour le changer.
Selon un communiqué de la présidence, le chef de l’Etat a souligné la nécessité de mettre fin à la corruption qui est à l’origine de la vétusté des équipements publics. «La plupart des véhicules sont négligés et sont devenus un tas de fer rouillé qui n’est plus utilisable, tandis que les citoyens ont du mal à se déplacer», aurait déploré Saïed, en stigmatisant des cas de corruption dans la construction du métro léger de Tunis et l’achat de wagons ne répondant pas aux normes.
Du déjà vu. Du déjà entendu. La «visite inopinée» a-t-elle été programmée pour préparer ou pour justifier le limogeage du ministre des Transports, annoncé le même jour ? On peut le penser, même si on ne peut sérieusement reprocher à Rabii Majidi d’être à l’origine de l’état lamentable des transports publics. En poste depuis «seulement» deux ans et demi (11 octobre 2021), on peut, à la rigueur, lui reprocher de n’avoir pas beaucoup avancé dans la réforme du secteur, mais l’état calamiteux des finances publiques permettait-il les investissements lourds nécessités par cette réforme ?
La réponse est non, et elle pose une autre question ? Le président fait des diagnostics, c’est bien, et pointe des responsabilités, et c’est encore mieux, mais que fait-il de concret pour aider à changer les choses, étant entendu qu’au-delà de l’effet d’annonce, les limogeages de hauts responsables n’ont réglé jusque-là aucun problème, leurs successeurs se trouvant généralement devant les mêmes blocages et les mêmes contraintes, financières et autres.
On peut parier qu’aux prochaines visites inopinées, dans un ou deux ans, aux mêmes endroits, la situation sera identique à ce qu’elle est aujourd’hui, si elle n’empirera pas, car les équipements vieilliront encore davantage et rien n’indique que les sociétés d’Etat en charge du transport public seront en meilleure situation sur le plan financier pour mettre en route les investissements nécessaires, la plupart d’entre elles, la SNCFT et la Transtu en tête, souffrant de déficits abyssaux, conséquence d’une mauvaise gouvernance chronique.
Ces questions sont généralement éludées par le président de la république qui, au lieu de tirer des conclusions et de mettre en route des solutions d’urgence, préfère se défausser sur tel ou tel responsable pour masquer l’impuissance de l’Etat dans son ensemble, Etat qu’il incarne lui-même et dont il détient tous les leviers du pouvoir. Etat qui n’a aujourd’hui pas les moyens de mettre en route les réformes structurelles qui s’imposent ou qui refuse de s’en donner les moyens, se dérobant souvent à ses responsabilités derrière des justifications oiseuses qui ne convainquent plus personne, telle la corruption qui sert désormais de cache-misère. (Vidéo)
Aussi la question n’est-elle pas aujourd’hui de désigner des responsables, c’est nécessaire mais insuffisant. Il s’agit plutôt de réfléchir aux remèdes à apporter à la gabegie générale, d’en estimer les coûts et de trouver les financements nécessaires pour mener les chantiers qui s’imposent.
Donnez votre avis