Le poème du dimanche : ‘‘Elena’’ de Eduardo Milan

Né en 1952, à Rivera, en Uruguay, Eduardo Milan, est poète et essayiste, exilé au Mexique en 1979, après l’avènement de la dictature dans son pays, en 1973, date à laquelle il publie son premier livre.

Auteur d’une vingtaine de recueils de poésie et de nombreux essais critiques littéraires. Il a collaboré à la revue Vuelta, de 1987 à 1992, sur l’invitation d’Octavio Paz.

Tahar Bekri

Elena, Eliana, ou Luna : c’est pareil. Même ta mort était un geste d’abondance, grâce à l’abondance, entrelacs à l’abondance. Veiller, voir la voile qui n’est jamais la vague qui revient sur la mèche, veiller en éveil, vivre, ah vauriens, ce n’est pas veiller: c’est une manière de dire «terre ferme», seulement une manière d’ordonner que la terre écrive en bas : «étreintes, terre». Comme si elle était chaussée, comme si nous devinions la forme de ses pieds, un pays qu’il n’y a pas à fouler, pourquoi n’y a-t-il pas de pays ? Parce que nous ne savons toujours pas parler, parce qu’il n’y a pas de chaussures pour parler, des chaussures horribles pour parler.

Inutile : il n’y a pas de chaussures. Et ce n’est pas normal, ce n’est pas la norme médiane qui atteste du royal, roi qui règne au jour le jour et depuis Dieu indique : «Il y a des chaussures». «Chaussures» : Seul quelque chose comme Dieu surpasse le mot chaussures en tension, des pieds étirés en attente du temps qui les chausse. Et le temps, c’est ce qu’il faisait, cela faisait un certain temps que je n’avais pas vu écrit le mot «Dieu». Te reprendre maintenant, Elena, c’est faire comme si rien ne s’était produit, Eliana ou Luna, alors que tout restait à dire, alors qu’on ne peut plus tout dire parce que tout a été dit. La loi est la loi, il faut dire est ce qu’il faut dire, il n’y a pas d’autre endroit que le foyer commun. C’est pourquoi il faut du bois pour le feu, du bois pour ça. Elena, du feu avec des étincelles parce qu’il le faut et surtout rien d’autre Elena que du feu avec des étincelles.

Sans une idée pour te ceindre, oiseau. Juste des clignements. Réel est le plus beau mot de ce royaume en ruines, réel. La faible fidélité de l’oiseau, c’était ça : le feu de ne pas chanter. Il y a un oiseau : j’ai vu un cardinal.

Oiseaux de loi : je l’ai entendu chanter. J’ai lu sur ses ailes rouges, ailes rouges du destin, des éclats liquides de corail. J’ai entendu dire que chanter en cercle est très naturel. J’ai aussi entendu dire qu’il faut être royal. Ce qui est certain c’est que cette roue glisse, que la lumière glisse sur la ville, Beatriz est lumière de lumière le nom propre une oasis parmi les étoiles.

Rien ne calme la soif d’intensité. Et quelle cerise peut être ce mot incarné entre cardinal et néant.

Inédit

Trad. de l’espagnol par Vincent Gimeno

(Remerciements à Philippe Ollé La Prune)

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