Si l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) mettait à exécution sa décision de grève générale dans le secteur public, fixée pour le 16 juin 2022, le Fonds monétaire international (FMI) n’accorderait pas à la Tunisie le crédit qu’elle sollicite. C’est ce qu’a déclaré récemment Ezzeddine Saïdane. Et on est prié de croire à cet énorme mensonge !?
Par Mounir Chebil *
L’expert financier veut nous faire croire que le FMI a déjà donné un accord de principe pour l’octroi du crédit demandé, mais il veut prendre du temps pour tester la docilité de la centrale syndicale et son acceptation des réformes structurelles envisagées par le gouvernement tunisien. A le croire, si l’UGTT ne se tenait pas à carreau, le FMI fermerait sa vanne providentielle et la centrale syndicale serait responsable de la faillite du pays.
On ne comprend vraiment pas ces gens qui changent d’opinion comme ils changent de chemises. On a entendu M. Saïdane soutenir dans des interventions à la télé et à la radio que le problème avec le FMI vient principalement des défaillances des gouvernements tunisiens qui se sont succédé au cours des dix dernières années et de l’inaptitude du gouvernement actuel à présenter un programme de redressement crédible et accepté par l’UGTT.
Un opportun renvoi d’ascenseur
Ne voilà-t-il pas que la porte du palais de Carthage vient d’être entrebâillée devant M. Saïdane ? Il a en effet été sollicité par Sadok Belaid pour participer au dialogue national préconisé par le président Kaïs Saïed et auquel il a présenté un rapport sur l’état du pays. Du coup, il s’est mis à diaboliser l’UGTT pour faire bonne figure auprès de la présidence, oubliant ce que pense M. Saïed de «ces apprentis experts qui balancent des chiffres erronés». Au passage, il n’a pas hésité à vanter, sur les plateaux TV, ses qualités d’homme indépendant qui ne s’est mouillé avec aucun parti politique, profil potentiellement séduisant pour M. Saïed.
Le bâtonnier Ibrahim Bouderbala avait compris, avant M. Saïdane, comment candidater pour participer à la mascarade du dialogue national et le voilà bombardé président de la commission économique et sociale du palais grâce, a-t-il expliqué sans ciller, à ses dons de bon gestionnaire du budget familial et de celui de l’Ordre des avocats. Convenez que, dans ce bled, le ridicule ne tue point.
En tant que citoyen, j’aurais aimé entendre nos économistes parler de stratégies, de plans et d’approches concrètes et chiffrées pour rééquilibrer la situation macroéconomique de la Tunisie. L’économie de notre pays n’est pas une comptabilité d’épicier et le mercantilisme et son corollaire, l’exploitation, encore de mise en Tunisie, sont, je crois, des survivances de l’ère paléolithique.
L’UGTT sommée de lâcher les travailleurs
Karl Marx a écrit que le salaire servi au travailleur suffisait juste à sa reproduction. Or le travailleur tunisien n’est même pas arrivé au niveau du forçat européen du 19e siècle. Le Smig chez nous ne permet même pas au travailleur d’assurer sa survie, et on lui demande de fermer sa gueule et à l’UGTT de lâcher les travailleurs.
D’une part, on demande à la centrale de l’Etat de cautionner le licenciement des agents de l’Etat et ceux des entreprises publiques à brader, le gel des salaires et l’annulation des subventions pour les produits de première nécessité pour dit-on les réorienter vers les plus démunis pour lesquels elles sont destinées. D’autre part, il est demandé à l’UGTT de participer à un dialogue qui devrait aboutir à l’instauration d’un système politique autoritaire d’un genre nouveau où les syndicats seraient marginalisés sinon bannis.
Parce que l’UGTT a refusé d’être son propre fossoyeur, les Maccarthystes de chez nous se sont déchaînés contre elle. M. Saïdane et d’autres se sont érigés en inquisiteurs, Ahmed Chaftar, le fervent défenseur de Kaïs Saïed, a déjà prononcé le verdict de la mise à mort de l’UGTT. Le constitutionnaliste Rabeh Khraïfi, en croque-mort, s’est chargé de son enterrement.
Les politiques se défaussent sur les syndicalistes
Aux politiques de veiller au développement du pays et à l’amélioration du niveau de vie des citoyens. S’ils ont failli dans leur mission, qu’ils assument leur échec et ne font pas porter la responsabilité de leurs déboires à l’UGTT.
Le syndicat est mandaté par ses adhérents pour négocier avec l’Etat et les opérateurs économiques de meilleures conditions de travail, et éviter que leur situation se détériore en période de crise. C’est à l’Etat et aux opérateurs économiques de s’organiser en conséquence.
M. Saïdane, le FMI a certes suggéré la compression des dépenses publiques, mais c’était dans le cadre d’un plan de redressement général de l’économie du pays impliquant des réformes structurelles dans les divers secteurs.
Certes, l’Etat tunisien est tenu d’entreprendre une réforme administrative, mais cela ne veut pas dire uniquement licenciement des agents en sureffectif et gel des salaires. La réforme implique surtout la modernisation des moyens, la rationalisation du travail administratif, la recherche de l’efficacité, et un meilleur engagement de l’administration dans l’opération de développement. En période de crise, c’est l’Etat qui doit être le moteur de la relance économique. Il peut même proposer un programme avec une augmentation des dépenses publiques, mais dans le cadre d’une optique keynésienne, accompagnée de mesures incitatives pour la relance de l’investissement privé, de la création des richesses, de la croissance et de l’emploi.
Par ailleurs, la restructuration des entreprises publiques nécessite l’établissement d’un diagnostic de chaque entreprise avec le remède spécifique à lui administrer. Cet état des lieux existe-t-il dans les tiroirs de Mme Bouden? Ou’on nous permette d’en douter.
La caisse de compensation doit elle aussi faire l’objet de réformes, mais encore faut-il trouver les formules pour qu’elle ne couvre que les nécessiteux. Le gouvernement n’a aucun programme dans ce sens. Est-ce la faute à l’UGTT?
Par ailleurs, un programme de redressement doit comporter des réformes structurelles pour dynamiser l’économie. Ces réformes doivent toucher le secteur bancaire, la politique fiscale, les incitations de l’Etat, les réformes à entreprendre dans les secteurs productifs…
Bref, au vue du programme présenté, le FMI doit être rassuré de l’état de l’évolution économique dans les court et moyen termes pour s’assurer du remboursement des crédits à allouer. S’il ne l’est pas, ce n’est sans doute pas de la faute de l’UGTT.
* Cadre de la fonction publique à la retraite.
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