Ce qui se passe à Gaza, où la guerre bouclera ses dix mois le 7 août prochain, est saisissant aussi bien sur les plans humain, diplomatique, juridique, sociétal mais aussi militaire, les combattants palestiniens du Hamas continuant de résister à la machine de guerre israélienne dopée par les interminables livraisons d’armes et de bombes surtout de la part des États-Unis. Le magazine britannique The Economist a publié une enquête rapportant que les armées occidentales étudient la guerre actuelle à Gaza pour en tirer des leçons tactiques. «Pour les armées qui ont la chance d’être en paix, les guerres des autres sont des opportunités d’apprentissage», explique l’hebdomadaire.
Imed Bahri
«Prenons par exemple le front nord d’Israël où l’armée israélienne échangeait des missiles et des drones avec le Hezbollah. Pour arrêter les drones de plus en plus puissants du Hezbollah, l’armée israélienne a eu recours à du brouillage extrême. L’effet sur le spectre électromagnétique est si fort que les soldats israéliens ont dû délaisser les cartes numériques au profit des cartes imprimées», écrit The Economist, relevant que c’est l’une des nombreuses leçons tactiques identifiées dans un nouveau rapport publié par le Royal United Services Institute, ou Russi, un groupe de réflexion basé à Londres. Les auteurs du rapport, basé d’entretiens approfondis avec des officiers de l’armée israélienne, ont quant à eux brièvement noté, non sans quelque cynisme, «qu’il n’était pas possible de joindre les dirigeants du Hamas pour mener des entretiens avec eux».
Le magazine ajoute que de nombreuses armées occidentales en sont venues à croire que les guerres futures incluront d’intenses combats dans les zones urbaines, qu’il s’agisse de la défense par l’Otan des villes baltes contre la Russie ou de la réponse américaine à l’invasion chinoise de Taipei, la capitale de Taiwan.
«La bataille urbaine de Gaza, qui a commencé en novembre avec l’offensive terrestre [israélienne] est un récit édifiant», écrit The Economist qui poursuit: «La lourde puissance de feu israélienne a réduit une grande partie du site en ruines.» Les conducteurs de chars ont eu du mal à évaluer la profondeur des trous à travers les lunettes de vision nocturne ce qui a provoqué le renversement des véhicules. Les forces appelant à des frappes d’artillerie ou aériennes ont eu du mal à décrire les emplacements avec précision car les éléments distinctifs avaient été détruits et il était difficile de faire la distinction entre les combattants et les civils.
Leçons apprises des tunnels du Hamas
Les critiques ont conclu de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine que le char était trop faible pour être efficace. À Gaza, en revanche, les systèmes de protection active (APS) des chars israéliens –qui contrent les obus entrants– les ont largement protégés des missiles antichar. Les chars étaient particulièrement utiles par paires car leurs points de protection active qui se chevauchaient offraient une protection supplémentaire.
Les auteurs Jack Watling et Nick Reynolds ont également abordé la question importante de l’utilisation des tunnels par le Hamas dans cette guerre urbaine. Il décrit en deux types, le type réservé aux dirigeants et le type désigné pour les militants de rang inférieur, le premier type étant plus profond et mieux équipé. L’armée israélienne pensait initialement qu’elle occuperait d’abord les terres et qu’elle chercherait ensuite des tunnels. Elle a vite appris que cela a permis au Hamas de lui tendre des embuscades avant de se retirer dans la clandestinité.
La leçon apprise est que les armées ne peuvent pas contourner les tunnels mais doivent combattre simultanément sur le terrain et sous ceux-ci. Cela était particulièrement difficile car les frontières entre les unités israéliennes –nécessaires pour éviter les tirs amis– n’étaient pas tracées avec précision sur des routes souterraines.
La guerre des tunnels s’est également révélée «extrêmement stressante» avec la possibilité de rencontrer les combattants du Hamas à chaque coin de rue créant «une pression intermittente sur les individus qui érode le moral».
En surface, les drones se sont révélés importants. Auparavant, les petite drones d’attaque comme ceux chargés d’explosifs couramment utilisés en Ukraine ne faisaient pas partie de l’ordre de bataille israélien et étaient contrôlées par une seule unité pilote comme c’est le cas dans d’autres forces armées occidentales. Une fois la guerre déclenchée, l’armée israélienne a découvert que ceux-ci pouvaient être très efficaces s’ils étaient réduits à de petites unités telles que des compagnies (plus de 80 soldats). «Ceux qui ont des drones d’attaques peuvent surveiller un terrain plus urbain et exécuter des frappes précises à un rythme rapide», affirment les deux auteurs de l’enquête. Le problème était qu’il fut impossible de suivre tous les drones de chaque compagnie. Le résultat fut «un degré élevé de fratricide de la défense aérienne».
Certains peuvent se demander si ces leçons sont réellement utiles aux forces américaines ou à celles de l’Otan. La plupart des armées européennes sont beaucoup plus petites et moins équipées que l’armée israélienne, qui a déployé plus de 20 équipes de combat grâce au recours à la conscription et à des dépenses de défense dépassant 5% du PIB.
L’armée britannique dans la position du Hamas
Ces armées, à leur tour, envisagent de mener la guerre contre des adversaires plus grands et mieux armés que le Hamas qui a combattu sporadiquement en utilisant de petits pelotons, aucune puissance aérienne et seulement des capacités de brouillage rudimentaires. Watling et Reynolds renversent la suggestion avec une analogie quelque peu choquante: «Pour l’armée britannique, il est utile à certains égards de se considérer dans la position du Hamas en essayant de défendre les zones urbaines avec un littoral à l’arrière contre une menace ennemie supérieure numériquement opérant en ordre dispersé.»
La guerre à Gaza, au-delà du fait qu’elle soit interminable et en dépit de son caractère extrêmement meurtrier avec le génocide et les crimes de guerre perpétrés par Israël qui ne connaissent aucune limite a des conséquences sur la géopolitique mondiale, sur les sociétés occidentales avec le fossé entre les gouvernements et les peuples et surtout une partie importante de la jeunesse éduquée et engagée, sur la perception d’Israël dans le monde qui n’est plus vu comme la redoutable armée crainte du Moyen-Orient vu que cette image a volé en éclats depuis le 7 octobre et que cet ascendant psychologique s’est estompé mais cette guerre a aussi des conséquences militaires avec des leçons tirées qui prouvent que l’armée israélienne en dépit de ses moyens financiers et technologiques énormes et de l’aide illimitée fournie par ses alliés occidentaux et en premier lieu les États-Unis n’a pas pu et ne pourra pas remporter cette guerre contre le Hamas dans un milieu urbain comme Gaza qui plus est, avec des labyrinthes de tunnels souterrains.