À l’heure où la confrontation devient directe entre Israël et la République islamique d’Iran, une autre guerre est enclenchée entre eux, une guerre de l’ombre. Celle de l’espionnage. Jusque-là, ce sont les Israéliens qui sont parvenus à infiltrer l’Iran jusqu’à ses services de sécurité et leurs opérations ont porté un coup dur à leur adversaire cependant cette dernière tente tant bien que mal à prendre sa revanche.
Imed Bahri
Le journal britannique The Times a publié une enquête de son correspondant de défense et de sécurité George Grylls depuis Tel Aviv dans laquelle il affirme que, selon les procureurs, des Israéliens auraient obtenu l’équivalent de centaines de milliers de livres de crypto-monnaie de l’Iran pour prendre des photos de sites militaires sensibles dans un contexte de recrudescence des preuves d’une opération d’espionnage réussie par Téhéran.
La base aérienne de Nevatim, qui a été touchée par des missiles balistiques iraniens ce mois-ci, la base d’entraînement de Golani, où quatre soldats ont été tués dans une attaque de drone du Hezbollah, et les batteries aériennes Iron Dome, ont toutes fait l’objet de reconnaissance par des espions iraniens présumés.
Sept citoyens juifs israéliens de la ville de Haïfa dont un transfuge de l’armée et des mineurs ont été arrêtés après une enquête menée par le Shin Bet, l’agence de renseignement intérieur et la police israélienne. Selon les procureurs, certains suspects espionnaient depuis deux ans.
La guerre d’espionnage au Moyen-Orient
Les dernières arrestations ont mis en évidence l’escalade de la guerre d’espionnage au Moyen-Orient alors qu’Israël se prépare à répondre à la dernière attaque de missiles balistiques de l’Iran.
Des documents américains top-secrets contenant des détails sur l’entraînement militaire israélien ont été divulgués vendredi sur une chaîne pro-iranienne de la plateforme Telegram constituant la plus grave faille de sécurité à ce jour.
En Israël, Téhéran semble avoir recruté des dizaines d’agents en exploitant les sans-abri, les toxicomanes et les criminels.
Un homme nommé Vladimir Varkovsky, 35 ans, a été arrêté la semaine dernière à Tel Aviv après avoir été jusqu’à obtenir une arme après avoir négocié une somme de 100 000 dollars avec ses agents iraniens pour tuer un scientifique israélien.
Le journal souligne qu’il y a quelques jours, les forces de sécurité israéliennes ont arrêté Vladislav Viktorsson (30 ans) et sa compagne Anna Bernstein (18 ans), accusés d’avoir obtenu 20 dollars pour chaque graffiti anti-Benjamin Netanyahu qu’ils avaient fait à Ramat Gan et Petah Tikva.
Le mois dernier, l’homme d’affaires israélien Moti Maman, âgé de 72 ans, a été impliqué dans une affaire plus grave dans laquelle il a été accusé de s’être rendu en Iran pour exiger 1 million de dollars pour aider à assassiner Netanyahu.
En offrant d’énormes sommes d’argent à des traîtres potentiels, Téhéran semble avoir tiré les leçons des récentes opérations de renseignement du Mossad.
Yossi Cohen, l’ancien chef du Mossad, a donné un rare aperçu des opérations en Iran lors d’une interview d’adieu il y a trois ans lorsqu’il a révélé un vol des archives nucléaires iraniennes en 2018 commis par 20 agents dont aucun n’était israélien.
Bani Sabti, 52 ans, un juif né à Téhéran, a déclaré: «Il est tout à fait normal que les Iraniens qui souffrent du régime se rendent au Mossad ou à la CIA et leur vendent des informations ou mettent quelque chose quelque part ou prennent une photo d’un voisin qui peut être un scientifique ou un dirigeant des Gardiens de la révolution iraniens.» Il a ajouté: «Des millions d’Iraniens veulent coopérer avec Israël. Personne ne gagne beaucoup d’argent et pourtant les appartements sont chers. C’est comme à la fin de l’Union Soviétique. Pourquoi être un travailleur bon marché avec un petit salaire quand on peut devenir un espion?»
Condamnations à mort contre des traîtres présumés
Sabti, consultant auprès de l’armée israélienne pour sa production en persan, est également consultant sur ‘‘Téhéran’’, une série télévisée à suspense israélienne sur une juive d’origine iranienne qui retourne dans son pays natal pour espionner pour le compte du Mossad, une histoire basée davantage sur la fiction que sur la réalité, a-t-il précisé.
Les succès célèbres du Mossad en Iran incluent l’assassinat du responsable du programme nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh à l’aide d’une mitrailleuse télécommandée, l’infection du réseau informatique nucléaire iranien avec des logiciels malveillants et l’assassinat d’Ismail Haniyeh, le chef du Hamas, dont la planque à Téhéran était truffée d’explosifs.
L’espionnage israélien à Téhéran est si étendu que Mahmoud Ahmadinejad, l’ancien président iranien, s’est plaint le mois dernier que le chef du contre-espionnage du pays -chargé de découvrir les espions- avait été en réalité un agent double du Mossad.
L’Iran exécute régulièrement des condamnations à mort contre des traîtres présumés. Ces dernières semaines, la facilité apparente avec laquelle Israël a assassiné Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a conduit à de nouveaux soupçons de trahison.
Ismail Qaani, le commandant de la Force Al-Quds, l’unité spéciale des Gardiens de la révolution chargée des opérations extérieures, a disparu pendant trois semaines, ce qui a donné lieu à des rumeurs selon lesquelles il avait été convoqué pour un interrogatoire car soupçonné d’être un agent double.
Finalement, Qaani est apparu la semaine dernière aux funérailles d’un commandant supérieur des Forces Al-Quds tué à Beyrouth avec Hassan Nasrallah, il a été filmé essuyant ses larmes devant les caméras et Téhéran a démenti les informations selon lesquelles il était un espion du Mossad.
Le rôle déterminant des juifs iraniens
Dans le centre de Tel Aviv, les convives dégustent des bols de qourmeh sabzi, une soupe persane composée d’herbes, de viande et de citron séché, accompagnée de cornichons et de tahini. Une photo du Shah et de son épouse la Shahbanu Farah Pahlavi portant un voile éclatant surplombe l’agitation du déjeuner. «Je suis iranien et israélien», déclare Yoav (35 ans) dont la famille a immigré d’Ispahan et a ouvert un restaurant iranien au marché Levinsky à Tel Aviv. «J’appartiens aux deux cultures», a-t-il ajouté.
Après la révolution islamique iranienne en 1979, des dizaines de milliers de Juifs iraniens qui bénéficiaient de la protection religieuse sous le Shah ont fui. La population juive d’Iran est passée de 80 000 à la veille de la révolution à seulement 10 000 aujourd’hui mais elle reste pourtant la plus grande communauté juive du Moyen-Orient en dehors d’Israël.
Téhéran tente souvent de forcer les membres de sa minorité juive à mener des opérations secrètes et psychologiques contre Israël en partageant des photos de la communauté protestant contre la réponse israélienne à l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023.
L’année dernière, le Shin Bet a arrêté un jeune juif iranien qui rendait visite à sa famille en Israël. Il a été expulsé vers l’Iran après la découverte qu’il avait introduit clandestinement du matériel de surveillance dans une boîte de mouchoirs.
Les Irano-Israéliens se retrouvent souvent pris dans une lutte acharnée entre les superpuissances militaires du Moyen-Orient. «Je reçois tout le temps des messages sur Facebook et Instagram de gens disant: ‘‘S’il vous plaît, faites-nous sortir’’ ou ‘‘Dites à Bibi (surnom de Benjamin Netanyahu en Israël, Ndlr) de continuer’’ ou encore ‘‘Si Dieu le veut, le régime va changer et vous pouvez venir chanter ici’’», a déclaré Rita Yahan-Farouz, 53 ans, chanteuse originaire de Tel Aviv.
Rita Yahan-Farouz est née à Téhéran et sa famille juive a traversé la frontière montagneuse avec le Pakistan pour échapper au régime en 1983. Ses chansons en persan, imprégnées du soufisme, ont une large base de fans dans son pays de naissance, et des Iraniens lui ont souvent demandé de les aider à communiquer avec le Mossad. Mais, malgré son amour pour le peuple iranien, elle ne s’oppose pas à la manière dont Israël gère la menace iranienne à la suite de la récente attaque de missiles balistiques. «Quand vous devez tirer, tirez d’abord», a-t-elle déclaré.
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