Alors que le monde regarde vers le Moyen-Orient et l’Ukraine, les mercenaires russes de Wagner massacrent des civils et brûlent des villages dans le nord du Mali alimentant une crise de réfugiés en pleine expansion. Les populations civiles sont condamnées soit à la mort soit à l’exil forcé. Ce qui laisse craindre une hausse des flux de réfugiés en Tunisie et dans les autres pays d’Afrique du Nord.
Imed Bahri
Une enquête du Washington Post rédigée par Rachel Chason et Sarah Cahlan explique que les familles maliennes parcourent durant la nuit des routes secondaires dans le désert pour atteindre Bassiknou, à la frontière avec la Mauritanie voisine, et rapportent chaque jour de nouvelles histoires de terreur sur les hommes blancs masqués qui les ont chassées de chez elles.
L’enquête cite des témoignages de Maliens sur la campagne de violence brutale menée par les mercenaires de Wagner aux côtés de l’armée malienne. Kossi Ag Mohamed, un berger de 31 ans, a décrit ce qu’il a vu avant de fuir son village de la région de Tombouctou, dans le nord du pays, comme sans précédent ajoutant: «Wagner a apporté un désastre dans notre région».
Les autorités maliennes affirment que le recrutement de Wagner vise à combattre les séparatistes touaregs de l’Azawad -qui sont en guerre depuis longtemps l’État central et qui veulent établir leur propre État dans le nord du pays- ainsi que les groupes armés affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique mais les correspondants du journal américain ont constaté que ce sont les civils et non les groupes armés qui ont subi le plus gros de la brutalité de Wagner.
«Ils tuent des gens de manière totalement aléatoire», a déclaré Heni Nsibiya, analyste senior pour l’Afrique de l’Ouest au sein du l’Armed Conflict Location & Event Data Project, un groupe de recherche à but non lucratif. Il précise: «Lorsqu’ils voient un convoi de véhicules de transport ou de personnes en train de faire des affaires, ils les attaquent immédiatement, pillent les marchandises et tuent des femmes et des enfants».
«J’ai vu la mort partout»
Le berger touareg Ag Mohamed a déclaré qu’au cours des derniers mois, les hommes de sa région ont développé d’étranges mesures pour faire face à la campagne de Wagner expliquant qu’ils se cachent dans les arbres lorsqu’ils entendent un convoi militaire approcher. Puis, lorsque les coups de feu cessent, ils descendent des arbres et ramassent les corps des morts.
En effet, un extrait vidéo pris dans la même zone dont parlait le berger montrait sept corps tachés de sang gisant sur le sol et un autre corps d’un homme décapité avec sa tête placée dans ses mains. Dans une troisième vidéo, les corps de femmes et d’enfants étaient visibles gisant dans les cendres d’une maison incendiée.«C’est la mort qui m’a fait fuir. J’ai vu la mort partout», témoigne le berger.
L’enquête du Washington Post indique que l’un des objectifs de Wagner était d’aider l’armée à reprendre les bases et les territoires tombés sous le contrôle des combattants islamistes et que le gouvernement payait environ 10 millions de dollars par mois Wagner pour ses services en plus des concessions dans plusieurs mines d’or.
Bien que les forces maliennes aient réalisé quelques gains depuis l’arrivée des mercenaires russes dont le nombre serait désormais estimé à environ 1 500, les experts affirment que les opérations militaires dans les zones hors du contrôle de l’État ont été caractérisées par une brutalité écrasante.
«C’est une politique. Tuez-les tous. Ils terrorisent la population locale», a déclaré Wassim Nasr, spécialiste du Sahel et chercheur principal au Centre Soufan basé à New York.
Le Centre de données sur les lieux et les événements des conflits armés estime qu’au moins 925 civils ont été tués l’année dernière dans des attaques impliquant Wagner soit plus du double des 400 civils que le groupe estime avoir été tués par les combattants islamistes.
Des «tactiques de guerre sales»
Andrew Lebovich, chercheur à l’Institut Clingendael aux Pays-Bas, a déclaré que l’armée malienne est accusée depuis longtemps de violations des droits de l’homme mais que l’ampleur et la férocité des abus ont augmenté depuis l’entrée de Wagner dans le pays.
Leibovich a déclaré que les mercenaires avaient adopté des «tactiques de guerre sales» notamment l’enlèvement, la torture et les décapitations. Plusieurs réfugiés ont déclaré au journal que les corps étaient souvent mutilés avant le retrait de l’armée.
Dans plus de 20 entretiens effectués par les journalistes du Washington Post, des réfugiés arrivés depuis 2023 ont déclaré que ce sont les attaques de l’armée malienne et de ses alliés russes et non des combattants islamistes qui les ont poussés à fuir.
«Ils considèrent quiconque porte un turban comme un terroriste», a déclaré Cherif Ag Mama, 45 ans, ajoutant que son frère avait été tué par des mercenaires de Wagner dans la région de Tombouctou.
Une femme responsable du grand camp de réfugiés à la frontière mauritanienne qui s’est exprimée sous couvert d’anonymat a raconté des histoires d’agressions sexuelles commises par des soldats de Wagner.
Alors que Wagner se concentrait initialement sur le centre du Mali, les analystes affirment que le groupe a de plus en plus étendu ses opérations au nord, l’épicentre d’une bataille de longue date entre l’État central et les rebelles touaregs.
L’une des victoires les plus importantes de Wagner au Mali fut la reprise de Kidal, bastion historique des rebelles, en 2023. Par contre, Wagner a subi son plus grand revers l’été dernier perdant des dizaines de ses mercenaires dans une bataille avec des combattants touaregs près de la frontière algérienne.
Les experts estiment que ces pertes sont controversées en Russie et soulèvent des questions sur l’avenir du groupe en Afrique. Toutefois ces derniers mois, on a assisté à une augmentation des livraisons d’équipements militaires russes au Mali selon des analyses d’images satellites.
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