Lorsqu’on évoque l’alcool, l’attention se porte souvent sur la santé individuelle ou les relations familiales. Mais le fléau touche aussi directement l’économie et les entreprises, et son coût mérite d’être mesuré. Y compris bien sûr en Tunisie, où l’on tarde à prendre conscience de son acuité et de ses incidences sur la santé des entreprises.
Tarek Kaouache*

L’alcoolisme ne concerne pas seulement celui qui boit. Il entraîne absentéisme, baisse de productivité, accidents du travail, turnover et détérioration du climat social. Chaque salarié affecté fragilise son équipe et coûte à l’entreprise, de façon directe et invisible.**
Concrètement, le manque à gagner pour une entreprise vient de plusieurs postes :
- Absentéisme accru : l’alcool est une cause fréquente d’arrêts maladie, de congés de courte durée répétés et d’absences imprévues (Addict’Aide, 2023).
- Présentéisme inefficace : quand la personne est présente mais travaille au ralenti, moins concentrée, voire en gueule de bois (Addict’Aide, 2023).
- Accidents du travail : le risque d’accident est beaucoup plus élevé, ce qui engendre coûts directs (assurance, réparation du matériel) et indirects (perte de productivité, impact sur la réputation) (Addict’Aide, 2023).
- Turnover et perte de compétences : les personnes touchées par l’alcool quittent ou perdent leur emploi plus souvent, obligeant l’entreprise à recruter et former de nouveaux employés (Addict’Aide, 2023).
- Climat social détérioré : tensions, conflits, perte de confiance au sein des équipes (Addict’Aide, 2023).
Les chiffres (Europe et OCDE, à titre indicatif) :
Selon l’OMS, l’alcool coûterait entre 1 et 2 % du PIB dans les pays développés, en additionnant coûts médicaux, sociaux et pertes de productivité (OMS, 2018 ; OCDE, 2020).
En France, une étude de 2019 estime le coût social de l’alcool à 102 milliards d’euros, dont environ 16 milliards liés uniquement aux pertes de productivité (INSERM, OFDT, 2019).
En entreprise, on estime que 5 à 20 % des accidents du travail sont liés à l’alcool (Addict’Aide, 2023).
Le salarié en difficulté avec l’alcool coûte en moyenne deux fois plus cher à son employeur qu’un salarié non touché (Addict’Aide, 2023).
Les chiffres estimés pour la Tunisie
Malheureusement, en Tunisie, il n’existe pas de chiffres précis sur le coût direct ou indirect de l’alcoolisme pour les entreprises ou pour l’économie nationale. Mais même à faible prévalence, l’alcoolisme peut générer des pertes économiques importantes. Sur la base des estimations internationales, une projection prudente suggère que l’alcool pourrait coûter entre 1 et 2 % du PIB tunisien, soit plusieurs milliards de dinars chaque année (OMS, 2018 ; OCDE, 2020).
Exemple concret : une PME tunisienne type de 50 salariés avec un salaire moyen annuel de 10 000 dinars. Si 8 % des salariés consomment de l’alcool et que 15 % d’entre eux présentent un risque élevé d’inefficacité ou d’absentéisme, cela représente environ 6 salariés affectés. Avec 5 jours d’absence et 3 jours de productivité réduite par an, le coût pour l’entreprise atteint ≈ 1 300 dinars par an, sans compter les accidents ou le turnover. À l’échelle d’une grande entreprise, ces chiffres se multiplient rapidement.
En résumé, le manque à gagner est colossal, mais difficile à chiffrer exactement entreprise par entreprise. Un salarié alcoolodépendant coûte bien plus qu’il ne rapporte, surtout à moyen terme. L’alcoolisme est donc un problème économique autant qu’humain, et la prévention, l’accompagnement et le soutien aux salariés ne sont pas seulement des mesures humanistes : ce sont des investissements stratégiques pour la productivité, la cohésion des équipes et la santé économique du pays (Addict’Aide, 2023 ; OMS, 2018 ; OCDE, 2020 ; INSERM, OFDT, 2019).
Recommandations pour agir :
Face à l’impact économique et humain de l’alcoolisme en entreprise, plusieurs actions peuvent être envisagées :
1. Réaliser une étude nationale : collecter des données précises sur l’alcoolisme et son coût économique en Tunisie, afin de mieux sensibiliser les décideurs et les chefs d’entreprise.
2. Sensibiliser les dirigeants et les responsables RH : organiser des ateliers, conférences et sessions d’information pour leur faire comprendre les conséquences de l’alcoolisme sur la productivité et le climat social, et les encourager à mettre en place des politiques internes de prévention et d’accompagnement.
3. Sensibiliser le personnel : proposer des programmes de prévention et de soutien aux salariés, avec des informations sur les risques de l’alcool, les signes de dépendance et les solutions d’aide disponibles.
4. Mettre en place un accompagnement professionnel : faciliter l’accès à des consultations spécialisées, des groupes de soutien et, si possible, des partenariats avec des structures de soin ou des associations locales.
5. Élaborer des politiques internes claires : définir des règles et des procédures sur la consommation d’alcool en milieu professionnel, tout en garantissant la confidentialité et le respect des salariés concernés.
6. Suivre et évaluer les actions : mesurer régulièrement l’efficacité des mesures mises en place pour ajuster les stratégies de prévention et réduire le coût humain et économique.
En combinant sensibilisation, accompagnement et politique d’entreprise proactive, il est possible de transformer ce problème invisible en un levier de performance, de cohésion et de santé économique durable.
Bibliographie
- Addict’Aide. (2023). Addictions et entreprise : quand l’alcool et la drogue menacent la performance.
- OMS. (2018). Global status report on alcohol and health 2018. Organisation mondiale de la Santé.
- OCDE. (2020). Alcohol consumption and its economic impact. Organisation de coopération et de développement économiques.
- INSERM, OFDT. (2019). Le coût social de l’alcool en France. Institut national de la santé et de la recherche médicale & Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
* Consultant et formateur senior freelance
** Tribune rédigée avec le recours à l’IA
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