Les Arabes face au prédateur israélien

L’heure est à la désillusion. Il n’y a pas encore si longtemps, un grand nombre de pays arabes pensaient que la normalisation avec Israël les protégerait des pulsions bellicistes de l’État hébreu ou bien qu’un partenariat très étroit avec les États-Unis leur assurerait une protection contre toute attaque israélienne. Chiche ! Le bombardement de Doha le 9 septembre dernier leur a prouvé qu’ils étaient à côté de la plaque. Aujourd’hui, l’heure est plus que jamais à la défiance et à l’anxiété. Mais pas encore assez mûr pour un changement de cap…

Imed Bahri

Dans une enquête publiée par le New York Times, Erika Solomon indique que les pays arabes ayant établi des relations diplomatiques avec Israël considèrent la guerre de Gaza et la frappe contre le Qatar comme des menaces potentielles pour leur sécurité nationale. Elle souligne que ces deux dernières années, les pays arabes ayant établi des relations avec Israël ont géré la guerre de Gaza comme une crise politique et maintenu des contacts malgré leurs frustrations croissantes.

Cependant, les attaques israéliennes contre le Qatar et l’assaut ce mois-ci contre la ville de Gaza et ce, en l’espace d’une semaine, ont amené certains de ces pays à se demander si leur sécurité n’était pas également menacée.

Les pays du Moyen-Orient ont condamné l’attaque israélienne du 9 septembre contre les dirigeants du Hamas à Doha. Le Qatar, allié fidèle des États-Unis, a joué un rôle essentiel dans la négociation d’un accord de paix pour mettre fin à la guerre de Gaza.

«Il serait insensé de ne pas s’inquiéter»

Le journal américain cite H. A. Hellyer, expert du Moyen-Orient au Royal United Services Institute de Londres et au Center for American Progress de Washington, qui a déclaré: «Pour l’Égypte, la Jordanie et la Turquie, il serait insensé de ne pas s’inquiéter de la possibilité d’attaques contre leurs pays»

L’attaque contre le Qatar a été suivie la semaine dernière par une invasion terrestre de la ville de Gaza, densément peuplée, forçant des centaines de milliers de Palestiniens à fuir vers le sud de la bande de Gaza. Israël a déclaré avoir attaqué le Qatar dans le cadre de sa politique visant à ce que les dirigeants du Hamas ne soient en sécurité nulle part. Israël a ajouté qu’il poursuivait son offensive sur la ville de Gaza pour éradiquer le Hamas de son dernier bastion dans la bande de Gaza.

Certaines des réactions les plus indignées face à ces événements sont venues d’Égypte, premier pays arabe à signer un traité de paix avec Israël en 1979. À l’instar du Qatar, l’Égypte a également joué un rôle de médiateur dans les négociations de cessez-le-feu à Gaza.

Selon les analystes, l’attaque contre Doha soulève des questions quant à la vulnérabilité de l’Égypte aux frappes israéliennes et quant à la possibilité pour d’autres pays de la région de faire l’objet de telles attaques.

Sissi a qualifié Israël d’ennemi

Lors d’un sommet régional d’urgence à Doha la semaine dernière, le président égyptien Abdel Fattah Sissi a qualifié Israël d’ennemi. Diaa Rashwan, directeur du Service d’information de l’État égyptien, a déclaré que c’était la première fois qu’un président égyptien utilisait ce mot depuis le début du processus de paix avec Israël à la fin des années 1970. Ce choix était délibéré, a déclaré ​​Rashwan à l’émission de télévision égyptienne Studio Extra (diffusée sur la chaîne égyptienne d’information continue CBC Extra News): «Notre sécurité nationale est menacée, et personne ne peut la menacer, sauf l’ennemi».

La semaine dernière, alors que les forces israéliennes avançaient vers la ville de Gaza, où des centaines de Palestiniens étaient encore réfugiés, le ministère égyptien des Affaires étrangères a mis en garde contre des «risques catastrophiques». Il a décrit l’opération comme «une nouvelle phase de chaos résultant de l’imprudence et de l’arrogance excessive d’Israël».

Comme une grande partie du monde arabe, les Égyptiens étaient déjà en colère contre la guerre qui a tué des dizaines de milliers de Palestiniens. L’Égypte partage une frontière avec le sud de Gaza, dans la péninsule du Sinaï.

Les responsables égyptiens craignent que la récente escalade de la guerre, qui a laissé la population sans aucun refuge, n’exerce une pression sur leur frontière de la part de Palestiniens désespérés cherchant à fuir. L’Égypte a exprimé ses inquiétudes quant à un exode massif pour plusieurs raisons, notamment parce qu’elle ne veut pas être accusée de favoriser le déplacement de Palestiniens de leur patrie. Les risques sécuritaires ne sont pas moins importants. Si des membres du Hamas parviennent à franchir la frontière avec les réfugiés, cela pourrait entraîner une attaque israélienne sur le territoire égyptien. Bien que l’Égypte ait accueilli au moins 100 000 personnes déplacées venues pour des soins médicaux ou ayant quitté Gaza pendant la guerre, elle souffre déjà de difficultés économiques et craint le fardeau supplémentaire que représente l’accueil d’un nombre important de réfugiés supplémentaires.

Les médias israéliens ont rapporté qu’Israël avait exprimé ses inquiétudes à Washington concernant le renforcement du dispositif militaire égyptien dans la péninsule du Sinaï. Le gouvernement égyptien n’a ni confirmé ni infirmé ce renforcement et le New York Times n’a pas été en mesure de le vérifier de manière indépendante. Le journal a cité Yehia Kadwani, membre de la commission de la défense et de la sécurité nationale du Parlement égyptien, déclarant que si ces mesures étaient mises en œuvre, elles constitueraient un avertissement. Il a déclaré que le déplacement des Palestiniens constituait une «ligne rouge» et que «l’Égypte prendrait position si cela se produisait».

La Jordanie sous pression

La Jordanie est un autre pays arabe entretenant des relations de paix de longue date avec Israël et surveille également les actions d’Israël avec inquiétude. La Jordanie partage une frontière avec la Cisjordanie occupée par Israël, où vivent près de trois millions de Palestiniens.

Alors que de plus en plus de pays reconnaissaient un État palestinien en réponse à la guerre de Gaza, Israël a intensifié ses menaces d’annexion de vastes zones de la Cisjordanie. La Jordanie craint qu’Israël ne tente ensuite de repousser les Palestiniens de l’autre côté de sa frontière avec la Cisjordanie, selon Hellyer, expert en sécurité au Moyen-Orient.

Les États du Golfe étudient également leurs options face aux récentes attaques israéliennes.

Pendant des décennies, l’Iran a été considéré comme la principale menace au Moyen-Orient et, ces dernières années, ils ont trouvé un terrain d’entente avec Israël contre lui.

En 2020, les Émirats arabes unis et Bahreïn, deux États du Golfe, figuraient parmi les pays arabes à nouer des relations avec Israël. Cependant, la situation évolue rapidement, explique Hellyer: «Ils considèrent désormais Israël comme la plus grande menace pour le Golfe et la sécurité régionale»

Le douloureux réveil des pays du Golfe

Le Qatar n’a jamais établi de relations diplomatiques avec Israël mais il a entretenu des relations cordiales notamment avec des visites de responsables israéliens lors des négociations de cessez-le-feu à Gaza. Ces relations se sont toutefois détériorées avec l’attaque de Doha.

Certains États du Golfe prennent des mesures allant au-delà des condamnations. Mercredi, l’Arabie saoudite a annoncé un nouveau pacte de défense stratégique avec le Pakistan, pays doté de l’arme nucléaire, déclarant que toute attaque contre un pays est une attaque contre les deux. Selon les analystes, cet accord reflète en partie une frustration croissante envers les États-Unis qui ne font pas davantage pour protéger le Golfe.

Dans un article publié sur son site web la semaine dernière, Andreas Krieg, expert du Moyen-Orient au King’s College de Londres, a affirmé que toute la région risquait désormais de sombrer dans un conflit plus vaste et sans précédent depuis les guerres israélo-arabes de 1948 à 1973. Au cours des décennies qui ont suivi, la normalisation des relations d’Israël avec plusieurs États arabes a réduit le conflit à un conflit israélo-palestinien. Chaque escalade israélienne accroît le risque que les États arabes soient entraînés dans un conflit plus vaste. Il a écrit: «Les masses arabes, déjà exaspérées par les événements de Gaza, considèrent désormais Israël comme une menace tangible pour tous les Arabes».

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