On construit pour impressionner, pas pour habiter. Entre Sama Dubaï, Tunisia Economic City et les mosquées surdimensionnées, la Tunisie se perd dans le mirage du prestige, au détriment des besoins réels de ses habitants.
Ilyes Bellagha *

En Tunisie, certains projets urbains et religieux se répètent comme des mirages. Sama Dubaï à Tunis, la Tunisia Economic City à Enfidha, le projet de cité médicale de Raqqada ou encore des mosquées surdimensionnées… Tous obéissent à une même logique : copier des modèles étrangers, miser sur le prestige et la démesure, contourner la transparence et marginaliser le citoyen.
Cet article est une invitation à décortiquer ces projets pour comprendre leurs logiques cachées, mesurer leurs impacts et empêcher que la Tunisie retombe dans les mêmes erreurs.
Sama Dubaï : un mirage importé
Le projet Sama Dubaï, imaginé pour transformer le Lac Sud de Tunis en un «petit Dubaï», devait incarner modernité et ouverture internationale. Son montage financier révélait des asymétries : investisseurs protégés, État marginalisé, priorité à la rentabilité privée plutôt qu’aux retombées locales.
S’il avait été mené à terme, Sama Dubaï aurait créé un espace urbain déconnecté, réservé aux élites, accentuant la gentrification et l’exclusion sociale. La ville aurait gagné une vitrine, mais perdu son identité.
Tunisia Economic City à Enfidha : la démesure sans études
La Tunisia Economic City promettait la ville du futur : port géant, zones franches, hôpitaux internationaux, universités privées… Mais derrière la communication, l’opacité domine. Aucune étude sérieuse n’a évalué la nature du sol, les ressources en eau, la mobilité ou l’impact social sur les habitants.
Résultat : un projet perçu comme irréaliste et opaque, renforçant la défiance des citoyens envers l’État et ses décisions.
Fracture citoyenne et mimétisme religieux
Deux types de citoyens émergent : ceux qui croient aux promesses officielles, désormais déçus, et ceux qui soupçonnent des manipulations, confortés par l’opacité. Ces projets grandioses creusent la défiance, au lieu de renforcer la légitimité politique.
Le mimétisme ne se limite pas à l’urbanisme. Les grandes mosquées maghrébines révèlent la même logique : impressionner plus que servir. Hassan II à Casablanca, Djamaâ El Djazaïr à Alger, et certains projets en Tunisie montrent que la démesure prime sur les besoins spirituels quotidiens, au prix de budgets colossaux et de faible utilité sociale.
Rôle des architectes et urbanistes
Face à ces dérives, les architectes et urbanistes ont un rôle crucial. Ils doivent exercer une veille active:
- technique : rappeler contraintes du sol, de l’eau, de l’environnement;
- sociale et culturelle : veiller à l’intégration des projets dans le tissu urbain et à l’adaptation aux besoins réels des habitants;
- éthique et politique : alerter sur les dérives de prestige, garantir la durabilité et l’intérêt collectif.
Bâtir pour la vie, pas pour l’image
La légitimité ne peut se construire par la démesure. Aussi la Tunisie doit-elle privilégier :
- la transparence totale;
- les études d’impact rigoureuses ;
- la participation citoyenne;
- les projets centrés sur l’efficacité et les retombées concrètes.
Bâtir pour l’image crée des illusions ; bâtir pour la vie restaure la confiance et assure un avenir urbain durable.
* Architecte.
Donnez votre avis