L’accord de défense mutuelle scellé le 17 septembre 2025 entre l’Arabie saoudite, puissance régionale au Moyen-Orient, et le Pakistan, seule puissance nucléaire islamique, fait couler beaucoup d’encre surtout que ledit accord met le royaume saoudien sous le parapluie nucléaire pakistanais. À l’heure où Israël suscite plus que jamais la défiance dans la région, le timing de l’accord n’est pas anodin, soulève des interrogations au sein même de l’État hébreu où certains parlent d’un «Otan islamique». (Ph. Le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif avec le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane après la signature d’un pacte de défense conjoint à Riyad).
Imed Bahri
Yoel Guzansky, chercheur israélien chargé des pays du Golfe au sein de l’Institut for National Security Stadies, qui a consacré une analyse à cette question dans le Yediot Aharonot, où il s’est d’abord intéressé à la clause centrale de l’accord de défense entre l’Arabie saoudite et le Pakistan qui a fait la Une des journaux. Cette clause centrale, stipulant que toute attaque contre l’un sera considérée comme une attaque contre l’autre, a semblé être une déclaration spectaculaire, une sorte de version islamique de l’article 5 de la charte de l’Otan.
Toutefois, derrière cette rhétorique spectaculaire se cache une équation plus complexe : l’accord ne modifie pas tant les règles du jeu qu’il confirme une étroite coopération continue qui lie les deux pays depuis des décennies.
La présence militaire pakistanaise en Arabie saoudite n’est pas nouvelle. Depuis les années 1960, le Pakistan a formé des milliers de soldats saoudiens et déployé des unités militaires sur le sol saoudien en temps de crise pour protéger les frontières du royaume. Aujourd’hui, entre 1 500 et 2 000 soldats pakistanais sont stationnés en Arabie saoudite, effectuant des missions de formation, de conseil et de protection. Le dernier accord s’inscrit donc dans ce contexte historique et ne marque pas tant un tournant radical qu’il consolide le statu quo.
Un parapluie nucléaire pakistanais
Sur le plan nucléaire, qui est le plus sensible, une ambiguïté subsiste, peut-être délibérément. Les références récurrentes depuis des années à la possibilité d’un parapluie nucléaire pakistanais pour protéger l’Arabie saoudite n’ont pas disparu du discours politique, notamment compte tenu du soutien financier saoudien à Islamabad en général et au programme pakistanais d’enrichissement d’uranium en particulier.
Cependant, l’accord publié ne fait aucune référence aux armes nucléaires. Le Pakistan souligne systématiquement que son arsenal nucléaire vise uniquement à dissuader l’Inde et non à créer un parapluie régional.
Riyad peut considérer cet accord avec le Pakistan comme une carte nucléaire dissuasive en sa possession mais Islamabad perçoit-il la question de la même manière ? Rendre publique l’alliance ne résout pas ces questions, elle ne fait que les amplifier.
Le moment choisi pour la signature n’est pas une coïncidence. Il contribue à accroître l’anxiété régionale. L’attaque sans précédent d’Israël contre le Qatar, proche allié des États-Unis, a provoqué une onde de choc dans le Golfe et avivé les doutes quant à la fiabilité de Washington en tant que garant indéfectible de la sécurité. Parallèlement, l’Iran et Israël semblent prêts à une nouvelle confrontation, tandis que les Houthis au Yémen intensifient leurs attaques et que des missiles tirés vers Israël sont tombés au-dessus de l’espace aérien saoudien.
Un allié musulman majeur
Dans ce contexte d’escalade, Riyad cherche à envoyer un message clair : il n’est pas isolé mais soutenu par un allié musulman majeur, puissant et doté de la capacité nucléaire.
Cependant, Guzansky tempère et estime que la nouvelle alliance ne constitue pas un engagement inconditionnel. Le Pakistan a déjà démontré -notamment par sa décision de 2015 de ne pas s’engager dans la guerre au Yémen – qu’il est capable de fixer des lignes rouges pour Riyad lorsqu’il estime que ses intérêts nationaux l’exigent. De même, l’Arabie saoudite ne se précipitera pas pour intervenir militairement dans un différend entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire.
Cette alliance est avant tout une déclaration politique : un signal aux adversaires, une garantie pour l’opinion publique nationale et un rappel aux États-Unis que les États du Golfe recherchent des alternatives sécuritaires supplémentaires.
Un modèle d’ambiguïté stratégique
Depuis des décennies, les relations entre l’Arabie saoudite et le Pakistan sont un modèle d’ambiguïté stratégique : financements saoudiens généreux, installations pétrolières et soutien économique entremêlés à des liens sécuritaires non déclarés, sans se traduire par des accords publics. Le dernier accord a partiellement changé la donne, car il incluait, pour la première fois, une clause publique de défense mutuelle. Mais même après la révélation de certains détails, l’ambiguïté demeure et soulève de nouvelles questions : Comment les engagements seront-ils mis en œuvre en cas de crise réelle ? Quel est le degré de coordination opérationnelle attendu ? Existe-t-il des accords tacites concernant les armes nucléaires ?
L’alliance ne se limite pas à la seule dissuasion militaire. Elle repose également sur des dimensions économiques et sociales : installations pétrolières, soutien financier direct, millions de travailleurs pakistanais en Arabie saoudite et rôle central du Hajj (le pèlerinage à la Mecque) comme facteur de rapprochement entre les deux peuples.
La menace israélienne
L’Arabie saoudite envoie un message clair à la région : elle a conclu une alliance avec un État musulman doté de l’arme nucléaire et soucieux de sa sécurité. Pour autant, cette annonce ne met pas fin à l’ambiguïté stratégique. Bien au contraire, elle la renforce et ouvre la voie à de nouvelles spéculations sur la place d’Israël dans l’équation de la menace pour l’Arabie saoudienne. Depuis des décennies, l’Iran est le principal adversaire du Royaume et des fuites d’images satellite ont montré par le passé que les missiles saoudiens sont dirigés vers l’Iran et non vers Israël. Cependant, la guerre et les échanges de frappes en cours entre Israël et l’Iran transforment la réflexion stratégique dans le Golfe d’une manière qui exige l’attention d’Israël.
Guzansky estime qu’il est dans l’intérêt d’Israël d’envoyer des messages de calme et non de menace, en particulier envers les États du Golfe, à un moment où les équations de sécurité régionales sont en pleine mutation.
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