Les autorités françaises ont arrêté mardi 30 septembre 2025, à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, Halima Ben Ali, fille cadette du président Zine El-Abidine Ben Ali, en exécution d’une notice rouge émise par Interpol à la demande de la justice tunisienne. Sera-t-elle pour autant extradée par les juges français vers la Tunisie où elle est poursuivie dans plusieurs procès ?
Latif Belhedi
Selon des sources judiciaires citées par l’AFP, l’intéressée s’apprêtait à quitter le territoire français pour Dubaï lorsqu’elle a été interceptée. Elle doit comparaître ce mercredi devant le parquet général de Paris afin d’être informée officiellement du mandat d’arrêt tunisien. Le dossier sera ensuite transmis à un magistrat chargé de statuer sur son éventuel placement sous écrou extraditionnel ou, à défaut, sous contrôle judiciaire.
Halima Ben Ali, qui vit à Dubaï depuis la chute du régime en janvier 2011, est poursuivie en Tunisie pour des affaires de corruption et de détournement de fonds publics. Son nom figure dans plusieurs dossiers instruits après la révolution, visant les membres du clan présidentiel et leurs proches.
À l’instar de sa sœur Nesrine et de son frère Mohamed, elle fait partie de cette génération qui a grandi à l’ombre du pouvoir absolu. Même si elle s’est tenue plus discrète médiatiquement, son profil demeure associé à la galaxie Ben Ali-Trabelsi, synonyme pour beaucoup de Tunisiens d’enrichissement illicite et de privilèges abusifs.
Me Samia Maktouf, avocate de la prévenue, a déclaré que sa cliente «n’a commis aucune infraction», dénonçant une «campagne de vengeance ciblant l’ancien président» et «une instrumentalisation judiciaire à caractère politique.»
Me Maktouf a également indiqué qu’elle allait saisir le ministre de l’Intérieur français pour dénoncer les conditions de l’interpellation, affirmant qu’une fonctionnaire de police française d’origine tunisienne aurait publiquement insulté Halima Ben Ali en la qualifiant de «voleuse», après l’avoir identifiée lors de son interpellation.
Pour rappel, ce n’est pas la première fois qu’Halima Ben Ali est visée par une procédure judiciaire internationale. Elle avait déjà été arrêtée en Italie en 2018, à la demande de la Tunisie, avant d’être remise en liberté.
Un signal politique
L’arrestation intervient dans un contexte où la question de la restitution des avoirs illégalement acquis et dissimulés à l’étranger reste sensible. La Tunisie a signé depuis 2011 plusieurs conventions bilatérales et internationales pour récupérer ces biens. Mais les procédures se heurtent à la lenteur des systèmes judiciaires étrangers et aux carences bureaucratiques locales.
Le cas Halima Ben Ali envoie toutefois un signal clair : la justice tunisienne n’a pas abandonné les dossiers qu’elle instruit assez longtemps et continue de solliciter la coopération internationale qu’elle peine cependant à obtenir.

Reste à savoir si cette demande d’extradition ira à son terme. La décision dépendra des juges français, qui devront vérifier la conformité du mandat tunisien avec le droit français et les conventions internationales, en particulier sur le respect des droits de la défense et des garanties de procès équitable.
Jusque-là, aucune demande d’extradition de personnalité politique n’a abouti, les juges européens estimant que la justice en Tunisie n’est pas suffisamment indépendante pour qu’on lui confie le sort d’opposants ou même de personnalités faisant l’objet de poursuites judiciaires.
Dans ce contexte, même Belhassen Trabelsi, l’oncle maternel de Halima, le plus grand symbole de la corruption et du népotisme sous Ben Ali, n’a pas pu être extradé vers la Tunisie après son arrestation il y a quelques années en France pour franchissement illégal des frontières avec de faux papiers. Il y a fort à parier que les juges français ne dérogeront pas à cette règle avec la fille cadette de Zine Ben Ali et Leila Trabelsi.
Une mémoire toujours vive
Plus de quatorze ans après la révolution du 14 janvier 2011, l’ombre de Ben Ali plane encore sur la vie politique tunisienne. Son décès en exil en 2019 en Arabie Saoudite n’a pas éteint les revendications populaires de vérité et de justice. Pour une partie de la société, il reste essentiel que les responsables de l’ancien régime, y compris leurs héritiers, répondent devant la justice.
Si l’arrestation de Halima Ben Ali aboutit à une extradition, cela constituerait un précédent important dans la coopération judiciaire entre Tunis et Paris. Mais si elle se solde par une simple mesure de contrôle judiciaire en France, voire un refus d’extradition, l’affaire risquerait d’alimenter le scepticisme sur la capacité de l’État tunisien à solder définitivement les comptes de l’ère Ben Ali. Et cela enverrait un mauvais signal à tous ceux qui, actuellement au pouvoir, se croient au-dessus des lois et immunisés contre d’éventuelles poursuites judiciaires après leur chute. Ben Ali n’est-il pas décédé sur son lit en Arabie saoudite des suites d’une longue maladie, et ce 8 ans après sa chute et malgré les nombreux procès qui lui ont été intentés à Tunis ? En Tunisie, l’impunité des puissants, même après leur chute, est en passe de devenir une règle…
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