Ce que Salazar a fait au Portugal, qu’il a gouverné d’une main de fer entre 1932 et 1968, peut-il constituer ou non un modèle pour les pays du Maghreb contemporain, y compris pour la Tunisie qui n’arrive pas à rompre avec les démons de l’autoritarisme ni à faire rimer démocratie et prospérité ? Bien sûr, comparaison n’est pas raison, d’autant que les destins des pays divergent et que les temps changent…
Par Dr Mounir Hanablia *
En quoi un pays comme le Portugal susciterait-il le moindre intérêt ? Par sa farouche volonté d’indépendance d’abord qui a été une constante de son histoire, dont on ignore l’origine. On pense qu’il est né du particularisme Suève.
Ce peuple venu de la Baltique lors des invasions barbares, mêlé aux Celtibères de la Galice, qui dans son expansion vers le sud de la péninsule ibérique jusqu’à l’Algarve a toujours été farouchement indépendant au sud de la rivière Douro, s’est néanmoins intégré au Royaume espagnol dans les montagnes au nord. Ce que les seigneurs du nord ont accepté, les villes marchandes du sud l’ont refusé.
Entourés à l’est et au nord par son puissant voisin, les Portugais ont choisi l’océan et l’expansion maritime grâce à leur maîtrise des techniques navales et de la navigation apprises des Arabes. Mais au début du XVIIe siècle avec l’émergence des puissances hollandaise et anglaise, le Portugal malgré un imposant empire colonial englobant le Brésil, l’Angola, le Mozambique, et quelques comptoirs en Inde, en Chine, et Indonésie, n’avait plus été qu’une puissance sur le déclin.
Une dictature nationaliste conservatrice
La démocratie parlementaire et le libéralisme s’étaient implantés au Portugal au milieu du XIXe siècle, sans entraîner la prospérité économique que les populations étaient en droit d’attendre. Au début du XXe siècle, n’ayant pas entamé sa révolution industrielle, le pays était demeuré essentiellement agricole. L’affairisme, et la corruption avaient discrédité le régime parlementaire et les partis politiques, au point d’entraîner des coups d’Etat militaires, mais les officiers ne possédaient pas les compétences nécessaires pour surmonter la crise économique et répondre aux besoins de la population.
C’est dans ce contexte qu’est apparu en 1926 un professeur d’économie de l’académie de Coimbra, Antonio Salazar auquel fut confié le portefeuille des Finances. Salazar réussit à imposer le respect de son programme budgétaire et à limiter les dépenses publiques.
A partir de 1932, Salazar devint Premier ministre avec les pleins pouvoirs et son règne devait durer 36 ans, jusqu’en 1968. Il entreprit les réformes constitutionnelles, économiques et sociales qu’il nommerait l’Etat Nouveau, un régime nationaliste autoritaire, idéologiquement conservateur, catholique libéral sur le plan économique et corporatiste sur le plan social.
Toute velléité de contestation fut réprimée grâce à une police politique omniprésente. Sur le plan économique le déficit budgétaire fut réduit de 45% à 5% en l’espace de 16 années, l’industrialisation connut un développement significatif. Et à partir des années 60 le niveau de vie se rapprochait de celui des autres pays d’Europe occidentale, grâce à une croissance de près de 7%.
La Révolution des œillets
Pendant les années troubles de la guerre civile espagnole, le pays se rangea dans le camp du général Franco. Et durant le conflit mondial, il se déclara neutre ce qui lui assura les dividendes de la paix, mais il garantit également aux alliés la neutralité espagnole. Cela lui assura le respect de son indépendance, mais à l’instar de toutes les puissances coloniales, il dut affronter les vents de la décolonisation à partir des années 50. Mais Salazar ne fut pas De Gaulles, il se cramponna à son empire sans lequel il considérait son pays comme insignifiant, et il envoya l’armée portugaise mater les mouvements indépendantistes dans des opérations de police horribles. Il refusa d’admettre que les temps avaient changé et que le Portugal devait chercher dans l’intégration européenne les sources de sa prospérité.
En 1974, le régime de Salazar et de son successeur Caetano fut emporté par ce qu’on a appelé la Révolution des œillets.
Si Salazar est toujours pour beaucoup synonyme d’Etat clérical, d’inégalités sociales, de répression politique, et de colonialisme, il n’en demeure pas moins qu’il a permis à son pays de traverser sans encombres l’une des périodes les plus délicates de son histoire, et qu’il lui a même assuré la prospérité nécessaire à sa transformation d’un pays agricole pauvre en un autre proche des normes nécessaires à son intégration européenne. Il reste à savoir s’il peut constituer ou non un modèle pour le Maghreb contemporain.
« Histoire du Portugal », de Jean-François Labourdette, éd. Fayard, Paris.
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