Le Sahara occidental (S.O.), qui fait l’objet d’un conflit opposant le Maroc et l’Algérie depuis les années 1970, et qui a été récemment au centre d’une crise diplomatique entre le Maroc et la Tunisie, est un territoire anciennement colonisé par l’Espagne (1884-1975). Il s’étend sur une superficie de 266 000 km2, à comparer avec celles du Maroc (446 550 km²), de l’Algérie (2,4 millions de km²) ou de la Mauritanie (1,03 million de km²).
Par Samir Gharbi
En annexant le S.O. à partir de 1976, le Maroc a accru ipso facto sa propre superficie de 60% passant à 712 550 km². C’est un grand pas en avant dans la réalisation du Grand Maroc. Ce concept, cher aux nationalistes marocains, devrait permettre d’égaliser voire de dépasser la superficie de l’Algérie en englobant la Mauritanie entière et une partie du nord Mali et de l’ouest algérien (atour de Tindouf). Cette prétention déboucha sur la guerre des Sables de 1963-1964 qui s’était arrêtée en maintenant le statut quo frontalier.
Le maillon faible sahraoui
Depuis, l’idée d’un Grand Maroc a été gelée, mais elle a continué avec le maillon faible, en profitant de la décolonisation bâclée du S.O. par l’Espagne.
Le pouvoir marocain n’a pas hésité novembre 1975 (Marche verte) à envahir sans coup férir ce territoire – historiquement sans Etat dûment constitué mais doté d’un peuple berbère nomade. Il a ensuite consolidé cet acquis territorial en bâtissant un «mur de défense» le long des frontières avec la Mauritanie et l’Algérie de 2 720 km (entre 1980 et 1987), Ce «mur» protège le territoire conquis, c’est-à-dire le S.O. utile (80% de la superficie) et laisse le reste désertique et enclavé sous contrôle des indépendantistes sahraoui du Front Polisario…
Cependant, sur le plan du discours officiel marocain, le Royaume a intégré la totalité du S.O. à ses provinces du Sud au niveau des statistiques et de la cartographie. Cette annexion de facto est reconnue par les alliés du Maroc, notamment les Etats-Unis, et soutenue par les tenants de la Realpolitik mondiale : s’il est lâché par le Maroc, le S.O., disent-ils, sera ou occupé aussitôt par les terroristes islamistes et autres contrebandiers (déjà présents dans le Sahel)… ou dominé par l’Algérie…, ces deux options étant non acceptables par le Maroc et ses alliés. Ça, c’est un autre sujet.
Le jeu de l’Algérie
Le Maroc a, depuis une dizaine d’années, serré les boulons de sa stratégie : celui qui n’est pas pour le S.O. marocain est contre le royaume, le roi et son peuple. Sur 81 pays ayant reconnu la République autoproclamée sahraouie, 56 se sont désistés et seuls 24 ou 25 continuent à supporter la cause indépendantiste sahraouie. Le chef de fil de ses supporters, est, sans conteste l’Algérie, qui finance le gouvernement et la résistance des derniers Sahraouis qui ne veulent pas du Maroc (des Sahraouis par réalisme, conviction ou nécessité ont admis le fait accompli marocain).
L’Algérie abrite le plus fort contingent de réfugiés sahraouis sur son propre territoire, à Tindouf (plus de 100 000 personnes), suivie par la Mauritanie (environ 30 000). Seule quelques dizaines de milliers vivent dans le S.O. non encore annexé (environ 26 000).
Autre levier du Maroc : plusieurs médias étrangers ont été gagnés à sa cause, à coup de quelques financements indirects (publicité) et de reportages déguisés (les journalistes ne sont admis au S.O. que s’ils sont «amis» (ne vous fiez pas aux revues dites indépendantes).
Les rares journaux, guides et atlas étrangers qui publient une carte du Maroc sans «son» S.O. sont simplement interdits d’entrée.
Les Nations unies, l’Union européenne et l’Union africaine, pour qui le S.O. est toujours «un territoire non autonome», publient des cartes séparant nettement l’entité marocaine du S.O. Les «neutres» publient des cartes du Maroc avec une frontière Maroc – S.O. en pointillés, plus ou moins visibles. La diffusion au Maroc de ce type de cartes, autrefois tolérée, n’est plus admise.
Les objectifs stratégiques du Maroc
Quels changements l’inclusion définitive du S.O. au Maroc impliquent-elles sur la configuration géographique du nord-ouest africain ?
Primo, la façade sur l’Océan atlantique : le Maroc a accru la sienne de 60% en avalant les 1 110 km du S.O. Il porte l’ensemble de sa bande côtière à 2 945 km. Ce qui lui confère un agrandissement considérable – en droits maritimes international – de son quota de (12 miles depuis la côte) et de «zone économique exclusive» (200 miles).
Lorsqu’on sait que la conquête espagnole de ce territoire, en 1884, a été motivée par la richesse halieutique des mers du S.O., on devine l’impact aujourd’hui de ces mêmes mers sur l’industrie de la pêche et sur les exportations de poissons du Royaume marocain. D’autant que les poissons pêchés au large du S.O. sont désormais considérés comme provenant du Maroc et bénéficiant ainsi de l’accord de pêche UE-Maroc (l’U.E. a dû céder à cette exigence de Rabat).
Il en est de même pour les produits agricoles cultivés au S.O. et les produits miniers extraits du S.O. (phosphates de Boukraa) qui représentent près de 10% des exportations marocaines en la matière. Rien ne filtre sur l’importance et les résultats des explorations entreprises au S.O. (mines et hydrocarbures, en mer comme sur terre).
Autre enjeu stratégique de taille : l’Algérie, après l’annexion définitive du S.O., n’aura aucune possibilité d’accéder un jour, via un Etat ami sahraoui, à l’Océan atlantique. Sa frontière terrestre avec le S.O. espagnol qui était de 42 km disparait au profit d’une frontière unique avec le Maroc de 1 941 km… Quant à la Mauritanie, l’absorption du S.O. lui donne désormais une frontière directe avec le Maroc sur une longueur de 1 564 km… (Voir cartes ci-haut).
Donnez votre avis