Dans un post publié hier, vendredi 30 janvier 2022, sur son blog Economics For Tunisia, E4T, et que nous reproduisons ci-dessous, l’économiste Moktar Lamari annonçait l’imminence d’un relèvement du taux directeur de la Banque centrale de Tunisie et anticipe les répercussions désastreuses d’une telle mesure.
Par Moktar Lamari *
D’ici peu, la BCT va monter son taux directeur, c’est quasi-certain! La question n’est plus de savoir si elle doit hausser son taux directeur ou pas, mais de combien. Un demi point pourcentage ou un 3/4 de point de pourcentage (la hausse, annoncée dans la soirée d’hier, a finalement été de 75 points de base, Ndlr).
Cette fois-ci, le message annonciateur a été insinué par le ministre de l’Economie et de la Planification, il y a quelques jours, en disant que le taux d’inflation va dépasser les 10%.
Cette nième hausse constitue un autre pas dans la mauvaise direction et une gifle aux espoirs de relance de l’investissement ! Pourquoi?
Sept raisons, rapidement!
1- Ce dont a besoin l’économie tunisienne actuellement, c’est la relance de l’investissement et de la poussée de la croissance. On sait que lorsque le taux d’intérêt augmente, l’investissement se contracte. Une élasticité négative statistiquement significative, démontrée depuis des lustres. A la marge quand le coût de l’investissement augmente (taux d’intérêt), le nombre de projets d’investissement baisse, pour des raisons de seuil de rentabilité inférieur au taux d’intérêt bancaire. C’est une tautologie que de répéter cela.
2- Les augmentations automatiques et dogmatiques du taux directeur n’expliqueraient que 13% de la variance de l’inflation en Tunisie. C’est un rapport du FMI qui le démontre. C’est dire que le taux directeur a atteint ses limites comme instrument de freinage de l’inflation. Il c’est comme quand les freins d’une voiture sont usés et inefficaces, il faut utiliser le frein moteur. Le moteur est dans cette analogie représenté par le budget de l’Etat. La hausse du taux directeur a atteint ses limites et ne dispose que d’une efficacité très limitée sur la variance de l’inflation.
3- La même étude du FMI sur la Tunisie démontre aussi que la variation marginale du taux directeur a un impact négatif et statistique significatif. La BCT et les membres de son CA savent qu’en augmentant le taux directeur, ils cassent de la croissance, creusent la dette publique et surtout font déprécier le dinar, la monnaie nationale, celle qui soutient le pouvoir d’achat des salariés !
4- L’augmentation du taux directeur dans ce contexte, au lendemain de l’annonce d’un Budget public dépensier et inflationniste, serait dramatique pour l’économie et constitue un mauvais signal pour les investisseurs étrangers. Ils comprendront que la Tunisie agit de manière contradictoire et parle des deux coins de la bouche: un qui prône l’austérité et l’autre le gaspillage.
5- Tout indique que cette prochaine augmentation est une augmentation de complaisance, faite pour faire plaisir au FMI, qui fait marche arrière et trouve que la Tunisie ne fait pas assez pour remplir les conditions exigées par les experts de l’institution financière internationale. Dans ce cadre, la BCT fait plus de ce qui n’a pas marché par le passé. La complaisance est contre-productive, elle sape les fondamentaux de la croissance et de l’investissement.
6- Une augmentation du taux directeur, constitue un cadeau céleste de fin d’année pour les banques présentes en Tunisie. Il constitue une autre gifle au pouvoir d’achat des citoyens.
7- L’augmentation attendue de la BCT ne pourra qu’envenimer davantage le contexte politique actuel, pousser les Tunisiens dans le désespoir et dans la rue. On ne doit pas prendre de risques démesurés, ce geste peut enflammer la Tunisie durant les prochains jours et semaines.
Je déconseille vivement cette hausse et attire l’attention sur ses impacts néfastes, dans un contexte de déprime économique sévère et une tension sociopolitique explosive!
* Economiste universitaire au Canada.
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