L’agriculture familiale en Tunisie représente 80% des exploitations agricoles. Son essor est aussi lié à l’agriculture «verte» prônée par le ministère du Développement économique et de la Planification (MDCI), dans son Plan de développement 2023-2025. Quelles sont les problèmes de cette activité, les défis qui la menacent, et les solutions proposées.
Le Plan d’action national de la Tunisie 2022-2030 (Pant) piloté par l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) a pour slogan « Pour une agriculture familiale viable et mieux intégrée dans des systèmes alimentaires durables« .
Par agriculture familiale (AF) on entend «un mode d’organisation de la production agricole, sylvicole, halieutique, pastorale et aquacole, gérée et exploitée par une famille et reposant essentiellement sur le capital et le travail de la famille, y compris ceux des femmes et des hommes. La famille et l’exploitation sont liées, co-évoluent et combinent des fonctions économiques, environnementales, sociales et culturelles». C’est la définition qu’on en donne dans la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale (DNUAF) 2019-2028.
Les problèmes
Malgré son importance économique, sociale, environnementale et culturelle, l’agriculture familiale est confrontée à plusieurs problèmes, qui menacent sa durabilité.
Parmi ces problèmes, la quasi absence de reconnaissance juridique, institutionnelle et politique; un faible accès aux crédits bancaires; un capital foncier de plus en plus limité, avec des exploitations de très petites tailles, souvent sans titre de propriété; un faible degré de mécanisation et d’investissement; le vieillissement des agriculteurs et la faible attractivité des jeunes, la relève n’étant pas assurée par les jeunes qui optent vers le travail dans la ville (notamment dans le bâtiment et autres services) ou vers l’émigration à l’étranger; un niveau d’instruction très bas des agriculteurs familiaux; de fortes disparités notamment dans la propriété des terres ; un usage non encadré de pesticides.
On parle, également, de faibles rendements, de rentabilités et de revenus; de faible accès aux marchés pour l’approvisionnement et la commercialisation; d’une main d’œuvre familiale non rémunérée; d’un travail de la femme non rémunéré par l’exploitation familiale; d’un faible accès de la femme au foncier; d’une absence de la main d’œuvre qualifiée dans l’exploitation familiale; d’un nombre limité de programmes de formation et de vulgarisation pour les agriculteurs familiaux, notamment pour les femmes; d’une faible inclusion des exploitations agricoles familiales dans les circuits des chaines de valeurs agricoles; d’une faible adhésion des agriculteurs familiaux aux organisations professionnelles; et d’une absence des textes d’application de la loi de l’ESS.
Les menaces
Les menaces sont réelles, certaines existent déjà, notamment la détérioration de la situation d’ensemble des petits agriculteurs; le risque économique important en cas de diminution de la performance de la petite agriculture; le risque sur la sécurité alimentaire du pays; la dégradation de la qualité des sols en cas de développement de pratiques non durables; la perte des ressources génétiques locales et émergence des problèmes phytosanitaires; la concurrence au niveau des marchés internationaux pour les produits agricoles et agro-industriels tunisiens; les risques liés aux perturbations économiques qui peuvent affecter l’agriculture familiale; les accords commerciaux mal négociés; l’aggravation des impacts des changements climatiques. Il s’agit ici du défi le plus important car tous les rapports sur les changements climatiques s’accordent que le climat de la Tunisie sera plus chaud et plus sec, ce qui va affecter négativement l’agriculture et l’élevage. La pêche et l’agriculture sur le littoral seront exposés à l’élévation du niveau de la mer et à l’augmentation de la salinité, suite à l’intrusion des eaux marines dans les nappes. Les effets des changements climatiques vont accentuer la désertification sous toutes ses formes ainsi que la perte de la biodiversité ce qui va réduire considérablement les productions agricoles, si des mesures d’adaptation de l’agriculture et de la pêche aux changements climatiques ne sont pas prises d’urgence.
Les atouts
Pourtant, l’agriculture familiale tunisienne jouit d’atouts considérables, entre autres, la richesse et la maitrise des savoirs faire traditionnels et techniques culturales, notamment les pratiques agroécologiques («agriculture verte»), de même qu’une riche agro-biodiversité, avec un savoir-faire pour sa gestion pour l’adaptation aux changements climatiques.
Cinq créneaux sont proposés pour sauvegarder la durabilité de l’agriculture familiale. Il s’agit de : 1- développer un environnement politique qui favorise son renforcement; 2- soutenir les jeunes pour assurer la durabilité de l’agriculture familiale ainsi que de la pêche (en investissant dans l’autonomisation des jeunes ruraux et en leur offrant des perspectives, la Tunisie devrait pouvoir favoriser simultanément les approches en matière d’éducation, d’emploi décent, de croissance économique inclusive et d’éradication de la pauvreté); 3- promouvoir l’égalité des sexes dans l’agriculture familiale et le rôle de leadership des femmes rurales (+70% des activités agricoles sont effectuées par les femmes); 4- renforcer les organisations et les capacités des agriculteurs familiaux à générer des connaissances, à représenter les exploitants, et à fournir des services inclusifs dans le milieu urbain-rural; 5- améliorer l’inclusion socioéconomique, la résilience et le bien-être des agricultrices/agriculteurs familiaux, des ménages et des communautés dans les milieux ruraux (la pauvreté dans le milieu rural est des plus élevés en Tunisie); 6- promouvoir une agriculture familiale durable et des systèmes alimentaires résilients, face au climat; 7- renforcer la multi-dimensionnalité de l’agriculture familiale pour promouvoir des innovations sociales qui contribuent au développement des systèmes alimentaires, qui préservent et valorisent les ressources naturelles, la biodiversité, les paysages, et la culture.
Pour revenir à l’«agriculture verte» (qui ne peut être que verte !) du Plan de développement du MDCI, il s’agit en fait d’agriculture «durable», qui fait référence à une agriculture qui respecte les ressources naturelles, et qui n’utilise pas de substances polluantes, afin de ne pas altérer l’équilibre environnemental. Un type d’agriculture qui se situe aux antipodes du concept d’agriculture intensive. D’où importance capitale – rappelons le- de l’agriculture familiale, objet du plan du DNUAF 2022-2030.
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