La TVA désormais en vigueur dans le secteur de la construction s’élève à 19%. La dernière hausse décidée par la Loi de finances 2023 va durement affecter un secteur déjà fébrile et qui souffre d’une forte mévente. Explications…
Par Ilyes Bellagha
On répète parfois des formules dont on a oublié le sens premier, telles que «Quand le bâtiment, va tout va», formule remontant au 19e siècle de Martin Nadaud, maçon qui devint député, puis préfet.
Cette vérité consacrée pose la construction comme principal moteur de la croissance, capable d’entraîner et de faire prospérer le reste de l’économie. Certes, mais est-elle encore valable en tout temps et en tout lieu ?
Pour répondre à cette question, il faut présenter une notion-règle économico-urbaine qui est la constitution de deux sphères économiques : la sphère présentielle et la sphère productive.
L’économie du bâtiment
Les activités présentielles sont celles mises en œuvre localement pour la production de biens et de services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes.
Les activités productives sont déterminées par différence. Il s’agit des activités qui produisent des biens majoritairement consommés hors de la zone et des activités de services tournées principalement vers les entreprises de cette sphère.
Dans cette répartition, il est clair que le secteur du bâtiment appartient à la sphère présentielle. Cette circulation invisible des richesses, portée par de puissants mécanismes de redistribution publique et privée, redessine la géographie des revenus, qui constituent une ressource économique majeure et un levier d’action pour les territoires.
L’économie présentielle, considérée comme l’un des moteurs du développement local, est intimement liée à l’attractivité et elle est donc très sensible à l’image d’un territoire.
Ainsi, dans un pays comme le nôtre, l’économie du bâtiment doit être accompagnée d’une vraie politique d’aménagement du territoire, ce que notre administration ignore. Que l’administration ignore, ceci ne serait pas si grave, si ce n’est pas elle qui détient le vrai pouvoir et a une totale emprise sur l’exécutif, présidence et gouvernement.
Impacts de la TVA sur la construction
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est aujourd’hui de 19%, n’est pas collectée directement par l’État comme l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation ou la taxe foncière. Elle vient s’ajouter au prix de tous les produits qui y sont assujettis.
Nous n’allons pas débattre de la valeur de cette taxe que le gouvernement a décidée. Ce dernier a sûrement ses raisons que notre raison ignore. Mais nous allons parler des impacts attendus de cette TVA sur un secteur déjà fébrile, qu’est la construction.
Au troisième trimestre de 2020, ce secteur employait plus de 492 000 personnes. Autrement dit, on doit le traiter avec doigté.
S’agissant de la promotion immobilière, le secteur public s’est sensiblement désengagé de ce créneau. Les promoteurs privés devraient présenter trois offres de logements, une sociale, une de moyen standing et une de haut standing. Mais ces derniers accusent aujourd’hui une mévente à cause de plusieurs facteurs dont un TMM élevé, autant pour eux, que pour les acheteurs potentiels.
Si on ajoute à cela la flambée des prix des matériaux de construction et des terrains aménagés, il n’y a pas de quoi encourager les promoteurs à poursuivre leurs activités.
Cette situation de crise les inciterait plutôt à détourner leurs capitaux vers des placements refuges, dont notamment l’acquisition de terrains agricoles qui, espèrent-ils, seront tôt ou tard inclus dans les futurs plans d’aménagement urbain.
Pour les investisseurs qui veulent encore à investir leurs fonds, le choix se porte forcément sur la gamme du haut standing, celle où l’on construit moins et vend plus cher.
Dans ce contexte, l’Etat vient d’imposer une taxe qui, par définition, est injuste. En effet, elle pèse d’autant plus sur un agent économique qui consomme une fraction importante de son revenu: les ménages aux revenus modestes, qui ont une plus forte propension à consommer, sont davantage frappés par la TVA.
Un champ de ruine
Les architectes de libre pratique sont, par conséquent, exposés à cette crise. Pour faire face à la régression des commandes, ils vont devoir revoir à la baisse leurs tarifs. Si, théoriquement, ils peuvent le faire, les entreprises du bâtiment et les promoteurs immobiliers ne pourraient pas les suivre. Donc, tôt ou tard, les architectes vont être amenés à diminuer la qualité de leurs services pour se ménager des marges. Les entreprises, de leur côté, vont être contraintes de licencier leurs employés avant de déclarer faillite. Quant aux promoteurs immobiliers, et les plus nantis d’entre eux, ils vont immobiliser leurs capitaux dans des biens qui ne rapporteront rien à l’économie nationale.
En conclusion, disons que l’administration des finances – dont la ministre Sihem Nemsia est issue- n’a aucune vision de l’économie, ses bases et ses rouages. Elle a fait un calcul d’épicier suivant l’adage populaire tunisien «Laisse-moi vivre aujourd’hui, quitte à me tuer demain». Elle collecte l’argent à dépenser par l’Etat sans tenir compte de l’impact destructeur de certaines de ses décisions…
* Président de l’association Architectes Citoyens.
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