En attendant les explications des autorités judiciaires à propos des arrestations de personnalités politiques effectuées il y a deux jours dans le cadre d’une bien vague affaire d’atteinte à la sécurité de l’Etat, nous sommes encore réduits à glaner, ici et là, les éléments d’information avancés par les partisans du président de la république Kaïs Saïed qui est, visiblement, à l’origine de toute l’opération.
Par Imed Bahri
Parmi lesdits partisans de Saïed, qui emplissent de leur bruit et fureur les réseaux sociaux, il y a l’activiste politique devenu chroniqueur médiatique Nejib Dziri, ancien «fan» de Nabil Karoui, passé sans transition et avec armes et bagages dans la galaxie Kaïs Saïed.
Les opportunistes, on le sait, se tiennent toujours aux côtés des vainqueurs du moment. Ils sont aussi les premiers à les lâcher lorsque le vent de la fortune tourne dans une autre direction. Mais c’est là une autre question…
Nejib Dziri nous a donc expliqué, ce matin, lundi 13 février 2023, dans L’Emission impossible, sur IFM, que Khayam Turki, Kamel Eltaief et autres Abdelhamid Jelassi ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête à propos d’un complot visant à renverser le régime en place dans le pays.
Des arguments plutôt maigres
A l’en croire, Khayam Turki voyage beaucoup en France où il rencontre des hommes politiques, Tunisiens et Français, dont, a-t-il affirmé, le président Emmanuel Macron.
Autre «crime» dont le prévenu se serait rendu coupable : il reçoit chez lui les principales figures de l’opposition au président Saïed, dont les membres du Front national de salut (FNS) et, au cours de ces réunions, il serait question du renversement du régime.
Jusque-là, les griefs retenus contre l’activiste politique, ancien dirigeant du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL-Ettakatol), sont plutôt maigres et ne sauraient constituer des éléments d’accusation pouvant être retenus par un juge un tant soit peu indépendant.
Le fait que Khayam Turki ait été pressenti, à un certain moment, pour le poste de ministre des Finances puis pour celui de chef de gouvernement, et qu’il soit sollicité aujourd’hui par les forces de l’opposition pour être un futur président de la république, eu égard ses excellentes relations au sein de la scène politique nationale, de la droite conservatrice à la gauche radicale, l’habilitant à être un président rassembleur, n’en fait pas forcément un «hors-la-loi». D’autant que l’homme n’a jamais fait mystère de ses ambitions politiques, et le fait qu’il se positionne aujourd’hui pour prendre éventuellement les commandes du pays n’est pas répréhensible en soi, tant que ses activités de mobilisation en faveur de sa candidature restent pacifiques et respectent les lois de la république.
Toujours selon Nejib Dziri, lors des rencontres de Khayam Turki avec des personnalités de l’opposition et des hommes d’affaires, il était question de provoquer des pénuries de produits de première nécessité et d’alimenter ainsi la grogne populaire contre le régime en place, prélude à son renversement.
Un délire surréaliste
Mais là aussi, cet argument censé être à charge laisse perplexe. Car une telle allégation doit être étayée par des preuves matérielles de l’implication directe du concerné dans des opérations de spéculation sur des produits de grande consommation. Ce qui nous semble être très peu probable, car les pénuries dont il est question sont dues, et cela est de notoriété publique, aux difficultés financières des entreprises publiques en charge de l’importation et de la distribution des produits de grande consommation (médicaments, céréales, huile végétale, sucre, café, thé…). Et on voit mal comment Khayam Turki ou toute autre personne puisse entreprendre de renverser le régime en place en cherchant à provoquer une pénurie de sucre ou de thé, si tant est qu’il ait les moyens matériels de provoquer une telle pénurie.
Là, on n’est pas dans une argumentation juridique susceptible d’être retenue par un juge un tant soit peu sérieux, on est face à un délire surréaliste qui couvre de ridicule celui qui le tient, délire où, soit dit en passant, l’on retrouve les accusations souvent lancées par le président Kaïs Saïed contre ses opposants (complot, trahison, atteinte à l’Etat, intelligence avec l’étranger, etc.), sans jusque-là en apporter la moindre preuve matérielle. Et c’est là où le bât blesse, car si la justice devrait aujourd’hui donner crédit aux accusations infondées et/ou invérifiables qui foisonnent sur les réseaux sociaux, où irait le pays ?
Loin de nous l’intention de défendre Khayam Turki, Kamel Eltaief ou autres Abdelhamid Jelassi, auxquels nous n’avions jamais épargné nos critiques sur ces mêmes colonnes. S’ils ont réellement transgressé les lois de la république, ils devraient être sanctionnés, car personne, quel qu’il soit, n’est au-dessus des lois. On aimerait cependant que les dossiers judiciaires présentés par les autorités publiques soient mieux étayés que les procès dont pullulent les réseaux sociaux, car il y va de la crédibilité même de l’Etat et de la confiance qu’il est censé inspirer à la population.
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