Lettre ouverte à mes amis français, en marge des émeutes urbaines, consécutives à l’assassinat de l’adolescent Naël lors d’un contrôle policier.
Par Sémia Zouari *
Constater que ce drame est récupéré par les courants extrémistes jusqu’à mobiliser des levées de fonds pour une «cagnotte» de plus d’un million d’euros au profit du policier auteur de ce meurtre raciste odieux, c’est tout simplement honteux…
C’est révélateur de l’enracinement du racisme en France et du déni de reconnaissance de la survivance des mentalités haineuses issues d’un passé colonial génocidaire et criminel notamment en Algérie.
Dire que la France se prétend «patrie des Droits de l’Homme» ! Et, en cette qualité, bien usurpée, s’offre le luxe de donner des leçons aux pays du «Tiers-monde», comme on nous qualifie trop souvent, en oubliant que nos pays ont eu des histoires et des civilisations tout aussi glorieuses voire plus éclairées et moins brutales que celles de ceux qui s’érigent aujourd’hui en maîtres du monde et s’offusquent de la montée en puissance du contre-pouvoir de pays comme la Chine, l’Inde et la Russie…
L’argument massue des oppresseurs
Une faillite morale française qui renie aux victimes le droit de se révolter et fait lever des cagnottes solidaires à la véritable racaille; celle qui tue, en toute impunité, au nom de l’ordre public, des gamins terrorisés, et stigmatisés pour des clopinettes avec des affabulations choquantes d’une police habituée à se faire absoudre de ses crimes par une inspection des polices à la fois juge et partie….
Un air de déjà vu dans les régimes d’apartheid comme celui de l’Afrique du Sud d’antan ou dans les territoires palestiniens occupés par Israël.
Finalement on reproche aux Maghrébins et aux Subsahariens simplement d’exister, même quand ils sont dans la misère et l’exclusion. Une réalité qu’il est «indécent» d’évoquer, sous peine d’accusation de «victimisation», l’argument massue des oppresseurs…
Et dire que ce sont leurs ascendants maghrébins et subsahariens qui ont été enrôlés de force pour servir de chair à canon aux premiers rangs de deux guerres mondiales principalement européennes qui n’étaient pas les leurs… Dire que ce sont leurs parents et grands-parents qui ont reconstruit la France d’après-guerre, en partie détruite… Eux qui ont été recrutés par centaines de milliers pour accomplir les durs travaux dont personne ne voulait et pour finir estropiés puis stigmatisés comme profiteurs de l’Etat providence…
Si la France a du mal à assumer son passé colonial notamment en Algérie c’est qu’il est tragiquement criminel; toutes les violations des Droits de l’Homme y ont été commises, les massacres, les décapitations des résistants, les tortures, les viols, les incendies au napalm, les expérimentations nucléaires sans compter la spoliation des terres, des richesses et l’économie de traite…
Aucun homme politique français n’a eu le courage d’ouvrir les archives de la guerre d’Algérie. De Gaulle? Mitterrand? Chirac? Tous ont fait la guerre là-bas ou en ont été des acteurs clefs et ne tenaient pas à ce que l’indicible soit révélé à une population biberonnée aux propagandes colonialistes de la nostalgie de «territoires perdus» et que la France n’aurait jamais dû rétrocéder… Cherchez l’erreur…
Et on reproche aux Français issus de l’immigration leur manque d’adhésion aux «lois de la République» comme si cette même République marâtre les avait jamais adoptés et leur avait jamais accordé une pleine citoyenneté… Jusqu’à les jeter dans les bras des idéologies islamistes les plus obscurantistes dans un repli identitaire désespéré…
Banalisation de la haine raciale
On s’offusque d’entendre chanter l’hymne national algérien par une jeunesse désespérée lors de l’accompagnement du cortège funèbre du si jeune Naël, on stigmatise sa mère, folle de douleur… incapable d’intégrer la mort de son unique enfant…
On relève les dégâts matériels, toujours condamnables, bien sûr, mais on occulte sciemment les racines du mal, les raisons légitimes de la révolte, nonobstant les inévitables profiteurs de guerre qui déshonorent les marches de protestations les plus vertueuses…
Aujourd’hui comme hier, lors des manifestations des gilets jaunes, ou plus récemment celles qui ont rejeté une réforme des retraites imposée hors de toutes les règles démocratiques dans cette France qui s’offre le luxe de stigmatiser la Tunisie pour «non conformité du processus démocratique en raison de l’éviction des principaux opposants »… Comprenez par là, les islamistes qui ont mis notre pays, à feu et à sang et l’ont ruiné financièrement, socialement et moralement… islamistes régulièrement assimilés à toute la communauté musulmane de France, régulièrement stigmatisée pour sa visibilité dérangeante, comprenez pour la pratique de sa religion, son voile, sa abaya, son refus de manger du porc… et puis quoi encore pour donner du grain à moudre aux extrémistes de tous bords?
Dans tout le battage médiatique, on «oublie» le crime policier, banalisé, bientôt étouffé derrière les déclarations de façade de la bien-pensance du politiquement correct et l’hypocrisie d’une société française gangrenée par la haine raciale et religieuse jusqu’à en faire une citadelle de l’extrême droite d’un Zemmour au racisme décomplexé et d’une Le Pen, revue et corrigée, qui s’apprête à se faire passer le témoin aux prochaines présidentielles…
On oublie que c’est la France qui a renié à sa population arabo-musulmane et subsaharienne, le droit à une citoyenneté entière. On inverse le problème, et par un tour de passe-passe, ce sont les victimes qui sont au banc des accusés. Des fauteurs de troubles, des inutiles, des microbes de la société dont on applaudit l’extermination par des policiers suprémacistes et sans morale!
La chasse aux musulmans et aux subsahariens
Sur le plan économique et social tout leur est refusé à ces citoyens de seconde zone, jusqu’à les confiner dans leurs ghettos de la médiocrité généralisée, dans l’informel, voire dans tous les trafics illégaux, car le délit de faciès et l’exclusion sont leur lot quotidien et il est si rare de les voir échapper à la malédiction de l’échec programmé.
Non! Décidément, la France doit faire un exercice de catharsis pour s’assumer et se corriger… D’abord en rendant justice à tous, avec un appareil policier débarrassé des ripoux racistes, avec un appareil judiciaire intègre et indépendant, un fondement de l’État de Droit… ensuite avec une réelle criminalisation de la haine contre les musulmans et plus généralement les migrants de «couleur», qui sont arrivés en France parce que leurs pays ont subi sa colonisation pendant des siècles et continuent de subir son exploitation via les mécanismes pervers de la mondialisation, des accords de dupes, de l’ingérence politicienne, des coups d’Etat de la France-Afrique et des expéditions illégitimes et illégales comme celle qui a détruit la Libye et l’a livrée aux prédateurs néocolonialistes.
Et n’oublions pas, hier encore, c’était les juifs qui subissaient les pires exactions en Europe et en France, via les collaborateurs de Laval et compagnie et des thuriféraires du nazisme, ancêtres de l’extrême-droite actuelle. Aujourd’hui, ce sont leurs indignes successeurs qui font la chasse aux musulmans et font de leur persécution un fonds de commerce électoral. Une ignominie à l’heure où ce sont les jeunes médecins et ingénieurs maghrébins et particulièrement tunisiens qui permettent la survie du système de santé français et son appareil productif, avec des salaires moins que convenables. Mais il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre et on ne valorise pas les cadres supérieurs et les élites issues de l’immigration pour pouvoir légitimer les thèses suprémacistes des médiocres et des racistes….
A bon entendeur!
* Diplomate.
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